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contraire, et cela par les conseils d’un moine, moins animé du zèle de la religion que jaloux des plaisirs de votre bon ami.

« Voilà, madame, voilà le péché que le Tout-Puissant, qui pèse tout dans une juste balance, et qui conduit toutes choses à la fin qu’il s’est proposée, n’a pas voulu laisser impuni. L’ingratitude est un crime horrible qui n’est jamais impuni, et vous vous êtes rendue coupable de ce crime en congédiant, comme vous l’avez fait, un amant qui ne vivait que pour vous. Vous avez voulu, sans sujet, faire mourir Tédalde de chagrin et de désespoir, et votre mari court risque aussi, sans sujet, de perdre la vie à cause de ce même Tédalde. Si vous voulez donc sauver le mari, il faut réparer l’injustice que vous avez faite à l’amant. Il faut, s’il revient de son long exil, que vous lui rendiez vos bonnes grâces, votre bienveillance, votre amitié, vos faveurs même, afin qu’il soit dans votre cœur tel qu’il y était avant que vous eussiez sottement ajouté foi aux extravagances de ce détestable moine qui vous l’a fait congédier. »

La dame, qui avait écouté très-attentivement le long discours du pèlerin, ne douta point que son malheur présent ne fût une juste punition de son mauvais procédé à l’égard de son amant infortuné. Quelque relâchée que lui parût la morale du bon apôtre, elle fut touchée de ses raisons, qu’elle regardait comme mot d’Évangile. « Ami de Dieu, lui dit-elle, je suis pénétrée de la vérité de tout ce que vous venez de me dire. Je connais à présent les religieux que je prenais, hélas ! pour autant de saints, mais le portrait que vous venez d’en faire m’en donne une tout autre idée. Je reconnais également mon tort à l’égard du pauvre Tédalde, et je vous assure que je les réparerais de mon mieux s’il était en mon pouvoir. Oui, je suis une malheureuse, une inhumaine, et je voudrais qu’il me fût possible d’effacer, par une conduite opposée, l’injustice et la cruauté dont je me suis rendue coupable envers cet honnête homme. Mais le moyen ? ce cher amant n’existe plus, et c’est moi qui suis cause de sa mort. Maudit moine ! que je me reproche d’avoir écouté tes funestes conseils !

— Tranquillisez-vous, madame, reprit le pèlerin, Tédalde n’est point mort, il est plein de vie et de santé. Vous êtes à temps de réparer les tourments que vous lui avez fait souffrir, et je puis vous assurer que si vous lui rendez vos bonnes grâces, il oubliera tous ses maux pour ne goûter que le plaisir de vous plaire et de vous aimer. — Prenez donc garde à ce que vous dites, homme de Dieu : je suis sûre que Tédalde n’est plus ; je l’ai vu étendu devant ma porte, percé de mille coups ; je l’ai tenu longtemps dans mes bras, et j’ai arrosé son visage de mes larmes ; et cela même m’a attiré quelques médisances. Plût au ciel qu’il fût encore en vie ! sa présence me ferait autant de plaisir que la liberté de mon mari ; et dût le public en jaser, je m’estimerais très-heureuse de pouvoir lui rendre ma première affection. — Soyez sûre, madame, que Tédalde vit encore, et je me fais fort de vous le représenter plus amoureux que jamais, si vous