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de jeter le trouble et la division dans les familles ; et il n’avait pas de plus grand plaisir que de voir souffrir son prochain et d’en être cause. Jetait-on les yeux sur lui pour commettre une mauvaise action, il n’avait rien à refuser. Comme il était emporté et violent à l’excès, la moindre contradiction lui faisait blasphémer le nom de Dieu et celui des saints. Il se jouait des oracles divins, méprisait les sacrements, n’allait jamais à l’église, et ne fréquentait que les lieux de débauche. Il aurait volé en secret et en public avec la même confiance et la même tranquillité qu’un saint homme aurait fait l’aumône. Aux vices de la gourmandise et de l’ivrognerie, il joignait ceux de joueur passionné et de filou ; car ses poches étaient toujours pleines de dés pipés ; en un mot, c’était le plus méchant homme qui fût jamais né. Les petits et les grands avaient également à s’en plaindre ; et si l’on souffrit si longtemps ses atrocités, c’est parce qu’il était protégé par Musciat, qui jouissait d’une grande faveur à la cour, et dont on redoutait le crédit.

Ce courtisan, s’étant donc souvenu de maître Chappellet qu’il connaissait à fond, le jugea capable de remplir ses vœux, et le fit appeler : « Tu sais, lui dit-il, que je suis sur le point de quitter tout à fait ce pays-ci. J’ai des créances sur des Bourguignons, hommes trompeurs et de mauvaise foi, et je ne connais personne de plus propre que toi pour me faire payer. Comme tu n’es pas fort occupé à présent, si tu veux te charger de cette commission, j’obtiendrai de la cour des lettres de recommandation, et, pour tes soins, je te céderai une bonne partie des sommes que tu recouvreras. »