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à d’autres qu’à lui. Mais, supposé que la confession à un prêtre soit indispensable, et que vous ayez été obligée de déclarer le péché pour lequel votre braillard de directeur vous fit tant de reproches, c’est-à-dire d’avoir violé la foi conjugale, deviez-vous pour cela, madame, vous conduire comme vous l’avez fait ? Si c’est un péché de favoriser un amant, n’en est-ce pas un plus grand de le tuer ou de le rendre errant et vagabond sur la terre ? Personne ne saurait en disconvenir : le premier est un péché naturel, et l’autre est un péché de pure malice et qui suppose un mauvais cœur ; c’est un vol, un assassinat, une cruauté. Quoique vous n’ayez point enlevé le bien de Tédalde, il n’en est pas moins vrai que vous l’avez volé, puisque, comme je vous l’ai déjà dit, vous étant donnée toute à lui, vous ne pouviez vous en séparer sans son consentement. Si vous ne l’avez pas tué, vous avez fait tout ce qu’il fallait pour le porter à se tuer de sa propre main, et la loi veut que celui qui est cause du mal en soit puni comme l’auteur. S’il n’est pas mort, vous ne pouvez nier que vous ne soyez du moins cause de son exil et de ce qu’il a mené pendant sept ans une vie errante et misérable. D’où je conclus qu’en commettant un de ces trois péchés, vous vous êtes rendue plus criminelle et bien plus condamnable qu’en vivant avec lui. Mais, madame, allons plus loin, continua le pèlerin, sans lui donner le temps de répondre un seul mot : Tédalde méritait-il d’être traité de cette manière ? Non, certes, vous en êtes vous-même convenue, et je le savais aussi bien que vous. Il vous aimait comme sa vie ; jamais femme ne fut aussi honorée, aussi louée, aussi obéie que vous le fûtes par ce tendre amant. Se trouvait-il dans une compagnie, où, sans donner des soupçons, il pouvait parler de vous ? c’étaient aussitôt des éloges aussi adroits que délicats : vos charmes, votre caractère, vos qualités recevaient le tribut d’un encens d’autant plus flatteur qu’il paraissait venir d’une personne désintéressée. Tédalde avait mis son sort entre vos mains ; sa fortune, son honneur, sa liberté, étaient à votre seule disposition ; il ne vivait que pour vous ; vous seule faisiez son bonheur. Il avait du mérite, de la naissance, de l’honnêteté, de la jeunesse, une assez jolie figure ; tout le monde l’estimait, le recherchait, le chérissait ; vous ne sauriez le nier. Comment donc avez-vous pu, après cela, vous déterminer à rompre tout à coup avec lui, à la seule instigation d’un cagot, d’un babillard, d’un envieux qui ne désirait peut-être que de remplir auprès de vous la place de ce galant homme ? Je ne conçois pas par quel étrange aveuglement il y a des femmes qui n’aiment point les hommes, et qui ne font aucun cas des soins qu’ils leur rendent. Si elles voulaient faire usage de leur raison, si elles considéraient la noblesse, la grandeur de l’homme et la prééminence que Dieu lui a donnée sur tous les autres êtres, il n’y en aurait pas une qui ne se glorifiât d’avoir un amant, de se l’attacher, de lui plaire, de s’en faire adorer, et d’éviter avec soin tout ce qui pourrait la refroidir. Vous avez cependant fait tout le