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avoir plus de facilité à séduire et à gagner les femmes que les maris négligent. Ils condamnent l’usure et les gains illégitimes comme des choses qui mènent à l’enfer, afin qu’on les rende dépositaires des restitutions, dont ils se font, sans scrupule, des fonds pour acheter la prélature et les gros bénéfices, tout disant qu’ils causent la perdition de ceux qui les possèdent. Ce qu’il y a de singulier, c’est que lorsqu’on leur reproche tous ces désordres et beaucoup d’autres de la même espèce, ils croient avoir bien répondu et être absous de tout crime quand ils ont dit : Faites ce que nous disons, et ne faites pas ce que nous faisons, comme s’il était possible aux ouailles d’être plus fermes, plus incorruptibles, plus courageuses que leurs pasteurs ! Ce qui est plus singulier encore, c’est de voir des hommes assez sots, assez imbéciles pour se contenter d’une pareille réponse, et pour la prendre dans un sens tout différent de celui que les religieux y attachent : Faites ce que nous disons, c’est-à-dire remplissez nos bourses, confiez-nous vos secrets, soyez chastes, patients, pardonnez les injures, ne dites du mal de personne. Mais quel est le but de cette exhortation, dans le fond très-sage ? C’est de pouvoir se plonger seuls dans les vices opposés aux vertus qu’ils recommandent, ce qu’ils ne feraient pas avec la même facilité si tout le monde s’en mêlait. Qui ignore que sans argent ils ne pourraient longtemps vivre dans la crapule et l’oisiveté ? Si les séculiers dépensaient leurs biens en voluptés, d’où les moines en tireraient-ils pour faire la meilleure chère et boire les meilleurs vins ? Si les gens du monde courtisent toutes les femmes, il faudra que les bons moines s’en détachent. Si ceux-là n’étaient patients et ne pardonnaient les outrages, ceux-ci n’oseraient plus déshonorer les familles. Mais qu’ai-je besoin d’entrer ici dans tous ces détails ? Toutes les fois que les moines, pour excuser leurs vices, répondent qu’on doit faire ce qu’ils disent et non ce qu’ils pratiquent, ils ne font que répondre une absurdité et se condamnent eux-mêmes. S’ils veulent devenir saints, pourquoi ne pas demeurer enfermés dans leur cloître ? ou, s’ils veulent se répandre dans le monde pour y prêcher la parole de Dieu, pourquoi ne pas suivre l’exemple de Jésus-Christ, qui commença par faire, et puis enseigna ? Qu’ils pratiquent d’abord eux-mêmes les vertus qu’ils recommandent, et on les croira sans peine. Mais, au contraire, ceux qui déclament en chaire le plus violemment contre la fornication sont les plus ardents à courtiser, à séduire, à débaucher, non-seulement les femmes du monde, mais même des religieuses. J’en connais beaucoup de ce caractère. Faut-il courir après ceux-là, et les prendre pour les directeurs de notre conduite ? Il est libre à chacun de se conduire comme il l’entend, mais je pense qu’il vaudrait encore mieux ne pas se confesser que d’avoir un moine pour confesseur. Si l’homme fait bien, s’il fait mal, Dieu le sait et le punira ou le récompensera selon ses œuvres. Or, si Dieu sait ce que nous faisons, je ne vois même pas qu’il soit absolument nécessaire de nous confesser