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le lui refuser, s’il ne s’en était pas rendu indigne ? Il le regardait, et était en droit de le regarder comme un bien qui lui appartenait ; cependant vous le lui avez enlevé ; c’est une espèce de larcin qui méritait une punition. À l’égard de votre confesseur, je suis religieux, et je puis me flatter de connaître assez bien les moines pour vous dire mieux que personne ce qu’ils sont. Il est bon, madame, que je vous fasse ici leur portrait, pour vous apprendre à les connaître vous-même, et lever tous vos scrupules sur ce qu’ils peuvent vous avoir dit.

« Le temps corrompt les meilleures institutions. Les religieux étaient autrefois de savants et pieux personnages ; mais aujourd’hui la plupart n’ont de commun que l’habit avec leurs illustres prédécesseurs ; encore leurs robes sont-elles bien différentes de ce qu’elles étaient dans leur origine : ils les portaient autrefois étroites, modestes, d’un drap commun et grossier, pour marquer leur mépris pour les choses de ce monde ; à présent ils les font fort larges, d’un drap fin et lustré. Aussi les voit-on se pavaner sans honte dans les églises et dans les places publiques, et le disputer aux gens du monde par le luxe et la coquetterie de leurs habillements. Semblables aux pêcheurs, qui tâchent de prendre plusieurs poissons à la fois dans leurs filets, on dirait qu’ils n’ont élargi leurs robes que pour être plus à portée d’y fourrer et cacher les dévotes, les veuves, et généralement toutes les femmes qui sont assez imbéciles pour les écouter. Les religieux des premiers temps ne désiraient que le salut des âmes : les modernes ne cherchent que le plaisir et les richesses ; ils ont inventé et inventent tous les jours mille moyens pour épouvanter, pour duper les sots et leur faire accroire que la rémission des péchés s’obtient par les aumônes et par les messes, afin de les engager à leur apporter du pain, du vin, de la viande et de l’argent, pour le repos de l’âme de leurs parents trépassés. Les anciens religieux ne renonçaient au monde que pour mieux s’occuper des choses du ciel : ceux d’aujourd’hui n’entrent dans le cloître que pour y trouver un asile contre la misère et les peines de la vie, et les hommes sont assez imbéciles pour leur prodiguer leurs bienfaits, pour nourrir leur oisiveté ! Je veux croire que les aumônes contribuent à l’expiation des péchés, surtout quand elles sont faites en vue de Dieu ; mais si l’on connaissait les moines, si l’on savait la vie qu’ils mènent, on se donnerait bien de garde de les en rendre l’objet ou les dépositaires. Pourquoi ne pas faire ses charités aux véritables pauvres, aux infirmes, aux familles honteuses, plutôt qu’à des hommes qui semblent avoir fait vœu de vivre dans la fainéantise et aux dépens de la société laborieuse ? Comme les moines savent qu’ils ne peuvent s’enrichir qu’en recommandant aux autres la pauvreté, il n’est rien qu’ils ne disent, qu’ils ne fassent pour décrier les richesses, afin d’en demeurer les seuls possesseurs ; ils ne déclament contre la luxure et ne prêchent sans cesse la continence que pour