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oreille curieuse, il entendit un de ces hommes qui disait, en se tournant vers la femme : « Nous pouvons à présent être parfaitement tranquilles ; on est généralement persuadé qu’Aldobrandin a fait le coup ; les frères de Tédalde l’ont fait mettre à la question, et la force des tourments lui a fait déclarer qu’il était coupable de l’assassinat ; son arrêt est même prononcé ; ainsi, songez bien à ne pas vous trahir par quelque indiscrétion ; il n’est pas douteux qu’on ne nous fît un mauvais parti si l’on venait à découvrir la moindre chose. » Ce discours parut répandre la joie et la tranquillité dans l’âme de cette femme. Tédalde comprit que ces hommes étaient les hôtes du logis ; il n’en douta plus, lorsqu’il vit deux de ces coquins entrer dans une chambre voisine, en disant qu’ils allaient se coucher. Ils souhaitèrent la bonne nuit au troisième et à la femme, qui répondirent, en descendant l’escalier, qu’ils allaient en faire autant.

On imagine aisément quelle dut être la surprise de Tédalde ; il gémit sur les égarements auxquels l’esprit de l’homme est sujet. Il ne pouvait concevoir comment ses frères avaient pu prendre un étranger pour lui, et faire condamner un innocent pour les vrais coupables. Il réfléchissait sur les périls auxquels l’ignorance et la prévention exposent la pauvre humanité, et ne pouvait se défendre de condamner l’aveugle sévérité des lois et la barbarie des juges, qui, sous prétexte de découvrir la vérité et de punir le crime, arrachent, par la voie inhumaine des tortures, des aveux qui n’en sont point, et se rendent ainsi les oppresseurs de l’innocence et les ministres de l’enfer. Après ces réflexions, le reste de la nuit se passa à songer aux moyens de sauver Aldobrandin,