Me prends-tu, lui dit-elle, pour un enfant ? T’imagines-tu qu’il n’y a qu’à me flatter, me caresser, pour me faire revenir ? Non, je ne te le pardonnerai jamais. Tu peux même t’attendre à te voir accablé de reproches en présence de tous nos parents, amis et voisins. Réponds-moi, scélérat, ne vaux-je pas la femme de Richard ? Suis-je moins jeune qu’elle, et d’une condition moins relevée ? Parle, qu’a-t-elle de plus que moi ? »
Pendant qu’elle exhalait ainsi son courroux, l’amoureux lui baisait la main et cherchait à lui baiser autre chose. « Ôte-toi de là, mauvais sujet, ne me touche plus. Tu as fait assez d’exploits ; et à présent que tu me connais, tout ce que tu pourrais faire serait forcé ; mais, si Dieu me prête vie, je te promets de te mettre dans le cas de le désirer plus d’une fois. Tu n’en auras pas quand tu voudras ; je me repens seulement d’avoir été si fidèle à un homme qui l’est si peu. Je trouverai moyen de m’en venger. Je ne sais ce qui m’empêche d’envoyer querir Richard tout à l’heure, lui qui m’a tant aimée, sans pouvoir se vanter d’avoir eu de moi un seul regard favorable, et de me venger à tes yeux, par représailles, de ta perfidie. Quel mal ferais-je en effet ? N’as-tu pas voulu et cru jouir de sa femme ? Pourrais-tu te plaindre si je te payais de la même monnaie ? » À ces mots, elle voulut sortir du lit et s’en aller, mais l’amoureux Richard la retint ; et jugeant qu’il était de trop grande conséquence pour lui et pour elle de la laisser dans son erreur, il résolut de se faire connaître et de la détromper. Il l’embrasse et, après lui avoir appliqué plusieurs baisers sur le front : « Ne vous troublez pas, ma chère amie ; je suis Richard. J’ai cherché à obtenir par la ruse des faveurs que je n’ai pu obtenir par l’amour le plus tendre qui fut jamais. » À ce son de voix qu’elle reconnut, à ces paroles inattendues, madame Catella faillit se trouver mal. Elle voulut se jeter hors du lit, mais Richard l’en empêcha ; elle voulut crier, mais il lui ferma la bouche avec sa main. « Consolez-vous, madame ; ce qui est fait est sans remède. À quoi vous servirait-il de crier ? Vous ne feriez que vous déshonorer et vous couvrir de honte, si vous alliez rendre publique cette aventure. Faites réflexion que vous aurez beau dire que c’est par ruse que je vous ai fait venir ici, personne n’en croira rien. D’ailleurs, je le nierai comme un diable : je dirai même que c’est par argent que je vous ai attirée, et que, ne vous en ayant pas donné autant que vous espériez, vous avez pris cette tournure pour vous venger de moi. Vous n’ignorez pas que le public est plus enclin à croire le mal que le bien ; il ajoutera plutôt foi à mes discours qu’aux vôtres. Songez que si vous en parlez seulement à votre mari, vous allez allumer dans son cœur une haine implacable contre moi : il faudra que l’un de nous deux périsse. En serez-vous plus tranquille quand il m’aura arraché la vie, ou que je la lui aurai arrachée ? Ne nous exposez pas l’un et l’autre à un danger inévitable ; ne vous exposez pas vous-même à une infamie qui ne remédierait à rien. Vous n’êtes pas la seule femme