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reconnue de son mari. La voilà introduite dans la chambre obscure. Richard, le cœur plein de joie, lui dit d’une voix extrêmement basse : « Soyez la bienvenue, ma chère amie. » Il la saisit ensuite par la main, la mène près du lit, la prend entre ses bras et lui fait mille caresses, auxquelles elle répond sans dire un seul mot, craignant de se faire connaître si elle parlait. Quel plaisir pour l’amant de jouir des faveurs d’une personne qu’il aimait avec tant de passion ! Mais quel plaisir encore de tromper une inhumaine qui le faisait languir depuis si longtemps !

Quand la dame comprit qu’il n’y avait plus rien à gagner en gardant le silence, elle fit éclater sa jalousie et son ressentiment. « À qui crois-tu avoir affaire, traître ? s’écria-t-elle. Que je suis malheureuse d’aimer un perfide qui brûle pour une autre ! Est-ce là le prix de huit ans de soins, de tendresse et de fidélité ? Apprends que je suis Catella, et non la femme que tu penses. Oui, malheureux, tu viens de jouir de celle que tu as si longtemps trompée par tes feintes caresses ; tu dois reconnaître ma voix, et il me tarde de voir le jour pour rendre ta honte complète. Je ne suis plus surprise de ta rêverie d’hier au soir : tu te réservais pour la femme de Richard. Ai-je moins d’appas qu’elle, monstre que tu es, pour me traiter avec tant de mépris ? Que j’étais aveugle d’avoir tant d’amour pour cet ingrat ! Le perfide ! croyant être avec ma rivale, il m’a fait plus de caresses, m’a montré plus d’amour dans le peu de moments que je viens de passer avec lui que dans aucun temps de sa vie. D’où vient que tu es chez moi tout de glace, quand tu montres ici tant de feu ? Mais, grâce au ciel, c’est ton propre champ que tu viens de labourer et non celui d’autrui. Je ne m’étonne plus si tu t’endormis hier au soir sans me faire la plus petite caresse : tu voulais te ménager pour faire aujourd’hui des prouesses et arriver tout frais au champ de bataille. Mais, encore une fois, grâce à Dieu et au bon avis que j’ai reçu, l’eau a suivi sa pente ordinaire ; tu es venu, malgré toi, moudre à mon moulin… Mais, n’as-tu rien à dire, misérable ? Es-tu devenu muet depuis que je t’ai fait connaître ton erreur ? Par ma foi, je suis tentée de t’arracher les yeux ; toute autre que Catella ne se contenterait certainement pas des reproches que je te fais ; tu mériterais que je t’étranglasse, misérable ! Faire infidélité à une femme aussi honnête, aussi tendre, aussi recherchée : quelle noirceur ! Tu te flattais sans doute que je ne serais jamais instruite de ta trahison ? Mais tout se découvre, et nul n’est si fin qu’il n’en trouve un plus fin. Conviens que je t’ai joué là un bon tour, et que tu ne t’attendais guère à me rencontrer ainsi sur ton chemin. Mais tu n’en seras pas quitte pour le dépit et la honte que tu éprouves en ce moment ; je t’apprendrai, de la bonne manière, à me trahir de la sorte. »

Richard avait toutes les peines du monde à retenir les éclats de rire. Il voulut recommencer ses caresses sans dire mot, mais elle le repoussa brusquement. «