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n’essaye de nouveaux moyens pour la séduire. Ce sont des messages continuels de sa part. Ma femme, qui a craint avec raison que je ne m’en aperçusse à la longue, et que je ne vinsse ensuite à la soupçonner d’être d’intelligence avec lui, m’en avertit avant-hier. Qu’ai-je fait ? Je l’ai engagée à feindre de s’être laissé gagner par ses poursuites, afin de pouvoir le convaincre de son ingratitude pour une femme dont il n’est pas digne. J’ai voulu me ménager ce plaisir, et il m’en a fourni l’occasion ce matin même ; car vous saurez qu’un moment avant que je sortisse de chez moi, il a envoyé une commissionnaire à ma femme pour la prier de lui donner un rendez-vous. Elle est aussitôt venue me trouver pour me demander quelle réponse elle devait lui faire. Donnez-lui rendez-vous, lui ai-je dit, chez Jeannot, le baigneur, sur l’heure de midi, pendant que tout le monde repose. Elle a été joindre la commissionnaire sur-le-champ, qui a paru enchantée de cette réponse. Vous pensez bien, madame, que je n’y enverrai point ma femme ; c’est moi qui me propose d’y aller, pour lui faire les reproches qu’il mérite… Mais il me vient une idée ; si vous y alliez vous-même ? Oui, madame, si j’étais à votre place, je lui jouerais ce tour ; et pour mieux le convaincre de sa perfidie et lui ôter tout prétexte d’excuse, je lui laisserais consommer l’œuvre avant de lui dire la moindre chose : cela vous sera d’autant plus facile, que les croisées et la porte de la chambre où il se propose d’attendre ma femme doivent être fermées. C’est une condition qu’on a mise au rendez-vous pour le rendre plus vraisemblable ; car il ne manquera pas d’imaginer que ma femme ne prend cette précaution qu’afin de s’épargner l’embarras et la honte que les dames éprouvent la première fois qu’elles rendent leurs amants heureux. Si vous suiviez mon conseil, madame, vous lui joueriez ce bon tour. Dieu ! quelle sera sa confusion, quand, sortant d’entre vos bras, vous lui ferez voir qu’il a eu affaire à sa propre femme et non à la mienne ! Je vous assure que la honte qu’il éprouverait dans ce moment nous vengerait bien de l’outrage qu’il veut nous faire à l’un et à l’autre. »

Madame Catella, sans considérer quel était l’homme qui lui faisait un pareil rapport ; sans songer du tout au stratagème dont elle allait être la dupe ; sans imaginer qu’on pouvait lui en imposer, tomba dans le défaut ordinaire aux personnes jalouses : elle crut aveuglément tout ce que Richard venait de lui dire ; et, après avoir fait réflexion à plusieurs choses qui s’étaient passées auparavant entre elle et son mari, elle répondit, enflammée de colère, qu’elle était résolue de prendre ce parti et de suivre en tout ses conseils à cet égard, se félicitant d’avance de la gamme qu’elle chanterait à son mari s’il se trouvait au rendez-vous. « Je le traiterai, je vous jure, de manière qu’il ne verra jamais de femme sans se le rappeler. »

Richard, fort satisfait du succès de son entreprise, confirma la dame dans sa résolution, et lui rapporta plusieurs faits adroitement imaginés, pour la fortifier