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autant qu’il en fallait pour entretenir ses feux. Il comprit toutefois qu’il ne parviendrait que difficilement, très-tard, et peut-être jamais à se faire écouter de celle dont il était si fort épris. Il crut donc devoir recourir à la ruse, pour tâcher d’obtenir par supercherie ce qu’il n’eût voulu devoir qu’à la tendresse. La jalousie de la dame lui parut propre à servir son projet. Pour réussir plus sûrement, il feignit d’être parfaitement guéri de la passion que madame Catella lui avait inspirée, et d’être amoureux d’une autre dame. Pour le faire mieux accroire, il donna, en l’honneur du nouvel objet de son attachement prétendu, des fêtes, des tournois et d’autres divertissements, comme il en avait donné à celle qui n’avait pas voulu le payer de retour. Il sut si bien se contraindre et cacher ses vrais sentiments, que tout le monde, et madame Catella elle-même, crut qu’il avait sincèrement changé d’objet. Dès ce moment elle fut beaucoup plus libre avec lui, et ne faisait aucune difficulté de le regarder, de le saluer et de lui parler quand elle le rencontrait dans la rue ou autre part ; ce qui arrivait assez fréquemment, parce qu’ils logeaient dans le même quartier.

Les choses étaient dans cet état, lorsqu’un jour de la belle saison, madame Catella fit la partie, avec plusieurs autres dames, d’aller dîner et souper à la campagne. Richard en fut instruit assez à temps pour engager plusieurs personnes de sa coterie d’en faire autant, et d’aller dans le même endroit. Les deux sociétés se rencontrèrent, comme il le désirait. Il fut décidé qu’on ne se séparerait point. Richard feignit d’y consentir difficilement, pour mieux éloigner les soupçons sur son projet. On ne manqua pas de le railler sur ses nouvelles amours ; madame Catella se mit de la partie, et poussa ses plaisanteries plus loin que les autres. Richard n’avait garde de se défendre ; il faisait, au contraire, l’homme passionné, ce qui donnait matière à le plaisanter davantage. Il recevait le tout au mieux, et ne perdait point son projet de vue. Quelques dames s’étant écartées pour se promener, il se trouva auprès de madame Catella avec peu de monde. Il saisit cette circonstance pour lâcher quelques généralités sur l’infidélité des hommes les plus aimés de leurs femmes ; il fit même entendre assez clairement à la belle qu’il idolâtrait et pour qui il se montrait si indifférent, que Philippe, son mari, ne lui était pas aussi fidèle qu’elle se l’imaginait. Il n’en fallut pas davantage pour réveiller toute la jalousie de madame Catella. Elle questionne Richard, qui feint de ne pas l’entendre, et qui finit par lui dite que ce n’était qu’une plaisanterie de sa part. Elle n’en veut rien croire, et lui témoigne la plus grande envie de savoir ce qui en est. Elle le prend en particulier, et le supplie de lui dire si son mari a quelque intrigue. « Pourquoi voulez-vous que je vous afflige ? Non, madame, je n’en ferai rien. — Je vous le demande en grâce, lui répliqua-t-elle ; je vous aurai la plus grande des obligations de m’instruire de ce qui se passe à mon insu. — Eh bien, madame, vous serez satisfaite ; vous avez conservé trop d’empire sur moi pour que je puisse vous