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lieu qu’il aille, de quelque part qu’il vienne, quelque chose qu’il voie ou qu’il entende, de nous apporter ici des nouvelles tant soit peu tristes ou désagréables. »

Après avoir ainsi donné ses ordres en gros, la Reine permit aux dames et aux messieurs d’aller se promener dans les jardins jusqu’à neuf heures, qui était le temps où l’on devait dîner. La compagnie se sépare : les uns vont sous des berceaux charmants, où ils s’entretiennent de mille choses agréables ; les autres vont cueillir des fleurs, et forment de jolis bouquets qu’ils distribuent à ceux qui les aiment. On court, on folâtre, on chante des airs tendres et amoureux.

À l’heure marquée, les uns et les autres rentrèrent dans le château, où ils trouvèrent que Parmeno n’avait pas mal commencé à remplir sa charge. Ils furent introduits dans une salle embaumée par le parfum des fleurs, et où la table était dressée. On servit bientôt des mets délicatement préparés : des vins exquis furent apportés dans des vases plus clairs que le cristal, et la joie éclata pendant tout le repas.

Après le dîner, Dionéo, pour obéir aux ordres de Pampinée, prit un luth, et Flamette une viole. La Reine et toute la compagnie dansèrent au son de ces instruments. Le chant suivit la danse, jusqu’à ce que Pampinée jugea à propos de se reposer. Chacun se retira dans sa chambre et se jeta sur un lit parsemé de roses. Vers une heure après midi, la Reine s’étant levée, fit éveiller les hommes et les femmes, donnant pour raison que trop dormir nuisait à la santé. On alla dans un endroit du jardin que le feuillage des arbres rendait impénétrable aux rayons du soleil, où la terre était couverte d’un gazon de verdure, et où l’on respirait un air frais et délicieux. Tous s’étant assis en cercle, selon l’ordre de la Reine : — « Le soleil, leur dit-elle, n’est qu’au milieu de sa course, et la chaleur est encore moins vive ; nous ne pourrions en aucun autre lieu être mieux qu’en cet endroit, où le doux zéphyr semble avoir établi son séjour. Voilà des tables et des échecs pour ceux qui voudront jouer ; mais si mon avis est suivi, on ne jouera point. Dans le jeu, l’amusement n’est pas réciproque : presque toujours l’un des joueurs s’impatiente et se fâche, ce qui diminue beaucoup le plaisir de son adversaire, ainsi que celui des spectateurs. Ne vaudrait-il pas mieux raconter quelques histoires, dire quelques jolis contes, en fabriquer même, si l’on n’en sait pas ? Dans ces sortes d’amusements, celui qui parle et celui qui écoute sont également satisfaits. Si ce parti vous convient, il est possible que chacun de nous ait raconté sa petite nouvelle avant que la chaleur du jour soit tombée ; après quoi, nous irons où bon nous semblera. Je dois pourtant vous prévenir que je suis très-disposée à ne faire en ceci que ce qui vous plaira davantage. Si vous êtes à cet égard d’un sentiment contraire, je vous laisse même la liberté de choisir le divertissement que vous jugerez le meilleur. »

Les dames et les messieurs répondirent unanimement qu’ils n’en connaissaient point de plus agréable que celui qu’elle proposait. « J’aime les Contes à