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Outre que la perte d’un homme qui vous aime, qui vous adore, qui sèche d’amour pour vous, ne vous fera point d’honneur dans le monde, soyez sûre que vous ne pourrez vous en rappeler le souvenir, sans vous dire à vous-même : Hélas ! que je suis barbare d’avoir fait mourir sans pitié ce pauvre jeune homme qui m’aimait tant ! Mais, madame, ce repentir, alors inutile, ne fera qu’accroître votre peine et votre douleur. Pour ne pas vous exposer à un pareil remords, laissez-vous attendrir sur les maux que votre indifférence me fait souffrir ; que ce soit par pitié, si ce n’est par amour. Oui, vous êtes trop humaine pour vouloir la mort d’un jeune homme qui brûle depuis si longtemps d’amour pour vous, qui n’aime que vous, qui n’en aimera jamais d’autre que vous, qui ne vit et veut ne vivre que pour vous. Oui, vous vous laisserez toucher par la constance de sa tendresse ; oui, vous aurez compassion de son sort, et vous le rendrez aussi heureux qu’il est à plaindre, en lui faisant connaître, par votre réponse, que vous le payez d’un tendre retour. »

Après ces mots, prononcés du ton le plus pathétique et le plus touchant, le Magnifique se tut, pour attendre la réponse de la dame, et pour essuyer quelques larmes qu’il ne put retenir.

La dame, qui jusqu’alors s’était montrée insensible à tout ce que cet amant passionné avait fait pour elle, qui avait dédaigné les hommages qu’il lui avait rendus dans des tournois, des joutes et d’autres fêtes qu’il avait données en son honneur ; qui n’avait même jamais voulu consentir à lui accorder un quart d’heure d’entretien, ne put entendre ce discours sans émotion ; elle en fut vivement