Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/186

Cette page n’a pas encore été corrigée

auprès d’elle, et de se divertir pendant que le mari était en contemplation. Ce bon moine arrivait, chaque nuit, un moment après que notre dévot s’était mis en oraison. Il soupait le plus souvent avec sa maîtresse avant de se mettre au lit, d’où il ne sortait qu’un quart d’heure avant les Matines. Comme le lieu que Pucio avait choisi pour faire sa pénitence n’était séparé que par une petite cloison de la chambre où couchait sa femme, il arriva qu’une nuit le fripon de moine, plus passionné que de coutume et ne pouvant modérer ses transports, se trémoussait tellement dans les bras de sa donzelle qu’il faisait crier le lit et trembler le plancher. Frère Pucio, qui récitait dévotement ses Pater, étonné de ces mouvements qui lui causaient des distractions, interrompit ses prières et, sans bouger de place, demanda à sa femme pourquoi elle se démenait ainsi. La bonne dame, qui était d’un naturel rieur et qui, dans ce moment, chevauchait sans selle ni bride, lui répondit qu’elle s’agitait tant qu’elle pouvait. « Et pourquoi te démènes-tu de la sorte ? ajouta le mari. Que signifient tous ces trémoussements ? — Comment pouvez-vous me faire cette question ? répliqua-t-elle en riant de tout son cœur, et ayant en effet grand sujet de rire. Ne vous ai-je pas entendu soutenir mille fois que, lorsqu’on ne soupe pas, on se trémousse toute la nuit ? » Le bonhomme, croyant de bonne foi que l’abstinence prétendue de sa chère moitié la contraignait de s’agiter pour chercher le sommeil : « Je t’avais bien dit, ma bonne amie, de ne pas jeûner, reprit-il aussitôt ; mais enfin, puisque tu l’as voulu, tâche de dormir et de ne plus te trémousser, car tu fais tellement remuer le lit que les mouvements se communiquent jusqu’ici et que le plancher en tremble. — Ne vous mettez point en peine de cela, mon cher mari, je sais bien ce que je fais ; mêlez-vous de vos affaires, et laissez-moi faire les miennes. » Frère Pucio ne répliqua plus rien et reprit ses patenôtres.

Cependant, nos amoureux ne voulant plus être si près du pénitent, de peur de lui donner à la longue des soupçons, cherchèrent un gîte éloigné de son oratoire. La dame y fit placer un lit, sur lequel, comme on peut le penser, ils passèrent d’heureux moments. Le moine n’était pas plutôt sorti qu’Isabelle regagnait promptement son lit d’habitude, où le pauvre frère Pucio venait se reposer après son pénible exercice. On mena le même train de vie pendant tout le temps que dura la pénitence. Isabelle disait souvent à l’égrillard dom Félix : « N’est-il pas plaisant que vous fassiez faire la pénitence à mon mari, et que ce soit nous qui goûtions les délices du paradis ? » Elle prit un si grand goût à l’ambroisie que lui servait son amoureux tondu que, plutôt que de s’en priver, elle consentit, quand les quarante jours furent passés, à le voir ailleurs que chez elle. Le compère lui en servit à discrétion : il en était d’autant plus libéral qu il n’avait pas moins de plaisir à lui en donner qu’elle à en recevoir : ce qui prouve la vérité de ce que j’ai avancé en commençant mon histoire, car, tandis