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elle ne lui parut pas impossible. Il fit longtemps parler les yeux, et s’y prit si bien qu’il vint à bout d’inspirer à la dame le même désir dont il brûlait. Lorsqu’il s’en fut bien assuré, il trouva l’occasion de l’entretenir sans témoin, et la pria de répondre à son amour. Il la vit assez disposée à lui accorder ce qu’il demandait, mais en même temps très-résolue à n’accepter d’autre rendez-vous que chez elle, ne paraître autre part avec lui que dans sa maison : mais il n’était guère possible d’y consommer l’affaire, parce que Pucio n’en sortait presque pas.

Charmé d’un côté d’avoir trouvé la belle sensible à son amour, et désespéré de l’autre de ne pouvoir la caresser, il ne savait comment se tirer de cette situation. Les moines sont ingénieux pour leurs intérêts, surtout pour ceux de la paillardise. Celui-ci s’avisa d’un expédient bien singulier et bien digne de l’honnêteté d’un homme d’Église. Voici la tournure diabolique qu’il prit pour jouir de sa maîtresse dans sa propre maison et presque sous les yeux de son mari, sans que le bonhomme pût en avoir le moindre soupçon. Un jour qu’il se promenait avec ce benêt dévot : « Je vois bien, mon cher Pucio, lui dit-il, que vous n’êtes occupé que de votre salut ; je vous en loue très-fort, mais vous prenez un chemin bien pénible et bien long. Le pape, les cardinaux et les autres prélats en ont un bien plus court et plus facile ; mais ils ne veulent pas qu’on l’enseigne aux fidèles, parce que cela ferait tort aux gens d’Église, qui, comme vous savez, ne vivent que d’aumône. Si les particuliers le connaissaient, le métier de prêtre ne vaudrait plus rien ; on donnerait peu à l’Église, et nous autres moines mourrions bientôt de faim. Mais comme vous êtes mon ami, et que je voudrais vous marquer par quelque chose la sensibilité que je dois aux politesses que je reçois chez vous, je vous l’enseignerai bien volontiers, si j’étais sûr que vous n’en parlassiez à personne. » Frère Pucio, dans une extrême impatience de savoir ce beau secret, conjure son ami de le lui apprendre et lui proteste, par tout ce qu’il y a de plus sacré, de n’en jamais parler. « Je n’ai rien à vous refuser sous ces conditions, répondit dom Félix : vous saurez donc, mon bon ami, que la voie la plus courte et la plus infaillible pour arriver au séjour des bienheureux est, selon les saints docteurs de l’Église, de faire la pénitence que je vais vous dire. N’allez pourtant pas vous imaginer que, la pénitence faite, vous cessiez d’être pécheur : on pèche tant qu’on est dans ce bas monde ; mais vous devez être assuré que tous les péchés que vous aurez commis jusqu’au moment de la pénitence vous seront remis et pardonnés, et que ceux que vous pourriez commettre à l’avenir ne seront regardés que comme des péchés véniels, par conséquent incapables de vous damner, et qu’un peu d’eau bénite pourra effacer. Il faut donc, pour accomplir cette pénitence salutaire, commencer par se confesser très-scrupuleusement, puis jeûner et faire une abstinence de quarante jours, pendant lesquels il faut non-seulement ne pas toucher