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leur intrigue, qu’ils eurent le secret de se voir fréquemment, et même de coucher plusieurs fois ensemble, sans être découverts.


NOUVELLE IV

LE MARI EN PÉNITENCE OU LE CHEMIN DU PARADIS

J’ai ouï dire qu’il demeurait autrefois, près du couvent de Saint-Brancasse, un bon et riche particulier nommé Pucio de Rinieri. Cet homme, ayant donné dans la dévotion la plus outrée, se fit affilier à l’ordre de Saint-François, sous le nom de frère Pucio. Comme il n’avait pour toute charge qu’une femme et un domestique à nourrir, et qu’il était d’ailleurs fort à son aise, il avait tout son temps à lui pour se livrer aux exercices spirituels. Aussi ne bougeait-il point de l’église ; et parce qu’il était simple et peu instruit, toute sa dévotion consistait à réciter ses patenôtres, à aller aux sermons et à entendre plusieurs messes. Il jeûnait presque tous les jours, et se donnait si souvent la discipline qu’on le croyait de la confrérie des bâilleurs : c’était le bruit public dans son quartier.

Sa femme, nommée Isabelle, était jolie, fraîche comme une rose, bien potelée, et n’avait guère plus de vingt-huit ans. Elle ne se trouvait pas bien de la dévotion de frère Pucio, car il lui faisait souvent faire des abstinences un peu longues et peu supportables à une femme de son âge. Quand elle avait envie de dormir, ou plutôt de passer un moment agréable avec lui, le bonhomme ne l’entretenait que des sermons du frère Nartaise, ou des lamentations de la Madeleine, ou d’autres choses semblables, ce qui ne faisait pas le compte de la dame.

Un moine nommé dom Félix, conventuel de Saint-Brancasse, arriva alors de Paris, où il s’était rendu pour assister à un chapitre général de son ordre. Ce moine était jeune, bien fait, plein d’esprit et de savoir. Frère Pucio fit connaissance avec lui. Ils furent bientôt liés de la plus étroite amitié, parce que le moine le satisfaisait sur tous les doutes qu’il lui proposait, et qu’il lui paraissait aussi pieux qu’éclairé. Notre bon dévot ne fit pas difficulté de le mener chez lui, où il le régalait de temps en temps de quelque bouteille de bon vin. Isabelle le recevait le mieux du monde, par égard pour son mari. Le religieux ne put se défendre d’admirer la fraîcheur et l’embonpoint de cette femme, et ne tarda pas à s’apercevoir de ce qui lui manquait, et, en homme charitable, il aurait bien voulu le lui procurer. La chose était difficile, mais