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a perdu le souvenir de ses crimes, comme s’il y avait plusieurs années qu’il les eût commis. Avez-vous oublié, monstre infernal, l’injure atroce que vous avez faite à la femme du monde la plus honnête ? Où étiez-vous ce matin avant le jour ? Parlez. — J’étais chez moi, dans mon lit. — Dans votre lit ! Il n’a pas tenu à vous, impudique, que vous ne soyez entré dans celui d’une autre. — Je vois, dit alors le jeune homme, qu’on a pris soin de vous instruire de bonne heure. — Cela est vrai ; mais vous étiez-vous bonnement imaginé, parce que le mari est absent, que cette femme allait vous recevoir à bras ouverts ? Grand Dieu ! est-il possible que mon ami, auparavant si honnête, soit devenu en si peu de temps un coureur de nuit ; qu’il entre dans les jardins, qu’il monte sur les arbres pour chercher à s’introduire dans la chambre des femmes les plus vertueuses ! Êtes-vous donc devenu fou, pour croire que cette sainte personne se laisse vaincre par vos importunités ? Sachez que vous êtes pour elle un objet d’aversion et de mépris. Oui, vous êtes, j’en suis sûr, ce qu’elle abhorre le plus, et vous voulez l’engager à vous aimer ! Mais quand elle ne vous aurait pas fait connaître sa répugnance pour vous, mes exhortations et la parole que vous m’aviez donnée n’auraient-elles pas dû vous retenir ? Je l’ai empêchée jusqu’à présent d’en parler à ses parents, qui vous auraient certainement fait un mauvais parti ; mais si vous continuez à la harceler, je lui ai permis et même conseillé de ne plus garder aucun ménagement. Arrangez-vous là-dessus. Je suis las de vous défendre, et je serai le premier à la louer de porter plainte contre vous à ses frères, si vous êtes assez aveugle pour faire de nouvelles tentatives auprès d’elle. »

L’amoureux gentilhomme comprit parfaitement les intentions de la belle. Il calma le religieux du mieux qu’il lui fut possible. « J’avoue, lui dit-il, que j’ai fait une folie ; mais je vous jure que ce sera la dernière, et que vous n’entendrez plus parler de moi par cette dame. Je rends hommage dès ce moment à sa vertu, et je vous remercie des soins que vous avez pris pour l’empêcher de parler de mes poursuites à ses parents. Je profiterai de vos avis, vous pouvez y compter. »

Il en profita en effet ; car, voyant clairement que sa maîtresse n’avait eu d’autre intention que de lui fournir les moyens de la voir, il ne manqua pas, dès la nuit suivante, d’entrer dans le jardin et de monter à la fenêtre par l’arbre qu’on lui avait indiqué. La belle, qui ne dormait pas, comme il est aisé de le comprendre, mais qui brûlait d’impatience de le voir arriver, le reçut à bras ouverts. Après s’être témoigné et prouvé mutuellement leur tendresse, ils rirent et s’amusèrent beaucoup de la simplicité du religieux, qui, sans s’en douter, avait si bien servi leur amour. Ils firent également plusieurs plaisanteries au sujet du mari, et prirent, avant de se séparer, des mesures pour se revoir sans avoir plus besoin de l’entremise du confesseur. Ils mirent tant de prudence dans