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Gênes. N’a-t-il pas eu l’insolence d’entrer hier dans notre jardin, de monter sur un arbre qui donne vis-à-vis de ma chambre et d’ouvrir ma fenêtre ? Il était sur le point d’entrer, lorsque, éveillée par le bruit, je me suis levée pour voir ce que c’était. J’allais crier au voleur, quand ce malheureux m’a dit son nom et m’a conjurée, pour l’amour de Dieu et par considération pour vous, de ne faire aucun éclat et de lui donner le temps de se retirer. Je me suis donc contentée, purement par égard pour vous, de refermer la fenêtre, et il s’est sans doute enfui, puisque, depuis ce moment, je n’ai plus rien entendu. Je vous demande à présent, mon père, si je dois souffrir des outrages de cette nature. Je n’en ferai rien, je vous assure, et il n’en sera pas quitte à si bon marché que les autres fois. J’ai été trop patiente jusqu’à présent par condescendance pour vous, qui êtes son ami, et c’est sans doute ce qui l’a si fort enhardi à m’outrager à ce point. Si vous m’aviez laissée suivre mon premier dessein, cela ne serait point arrivé. — Mais, madame, répondit le bon père tout confus, êtes-vous bien assurée que ce soit lui ? Ne l’auriez-vous pas pris pour un autre ? — Dieu vous bénisse, mon père, je sais trop le distinguer pour être méprise, quand il ne se serait pas nommé lui-même. — Je ne puis disconvenir que ce ne soit là une hardiesse des plus criminelles. Vous avez très-bien fait de lui fermer la fenêtre au nez et de n’avoir pas voulu seconder son damnable projet. Je ne saurais donner trop de louanges à votre vertu ; mais puisque Dieu a sauvé votre honneur du naufrage, et que vous avez par deux fois déféré à mes conseils, je me flatte que vous voudrez bien mettre le comble à votre soumission en suivant encore celui que je vais vous donner. Permettez que je lui parle encore avant d’informer vos parents de son impudence. Peut-être serais-je assez heureux pour l’engager à vaincre sa brutale passion. Si je ne réussis pas à le rendre sage, à la bonne heure ; vous ferez alors tout ce qu’il vous plaira. — J’y consens encore, mon père, puisque vous le désirez ; mais je vous proteste que c’est pour la dernière fois que je vous porterai des plaintes à ce sujet. » Et, en disant ces mots, elle se retira brusquement en faisant la fâchée.

À peine fut-elle sortie, que l’amant arriva pour savoir s’il n’y aurait rien de nouveau sur le tapis. Le moine le prit en particulier pour lui dire mille injures plus fortes les unes que les autres sur son manque d’honneur et de foi. Le jeune homme, accoutumé aux reproches du zélé confesseur, s’en inquiétait fort peu ; il le laissait dire, et attendait avec grande impatience une explication plus claire. Il tâchait, par sa surprise et son maintien curieux, de le mettre dans le cas de parler le premier. Voyant qu’il n’en pouvait venir à bout : « Qu’ai-je donc fait, lui dit-il, mon père, pour exciter si fort votre courroux ? Ne dirait-on pas, à vous entendre, que c’est moi qui ai crucifié Jésus-Christ ? — Oui, malheureux, vous l’avez crucifié par vos désirs impudiques… Mais, voyez le sang-froid de ce scélérat ! on dirait, à le voir, qu’il est blanc comme neige, ou qu’il