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et ne jouissaient pas encore de la présence de Dieu. C’est pourquoi je voudrais faire prier pour le repos de leur âme. Je vous serai donc bien obligée de dire les quarante messes de saint Grégoire à leur intention, afin que le Seigneur les délivre des flammes du purgatoire. » Tout en disant ces mots, elle lui donna une poignée d’argent, qu’il reçut sans se faire prier. Pour l’affermir dans ses bons sentiments, le bon père lui fit une petite exhortation et la congédia après lui avoir donné sa bénédiction.

Elle ne fut pas plutôt partie, que le religieux, trop peu fin pour s’apercevoir qu’il était pris pour dupe, envoya chercher son ami. Le jeune homme comprit, à l’air courroucé du moine, qu’il allait apprendre des nouvelles de sa maîtresse. Il l’écouta sans l’interrompre, jusqu’à ce qu’il eut assez parlé pour le mettre bien au fait des intentions de la dame. Il n’y eut point de reproches que le sot personnage ne lui fît ; il en vint même, dans son appartement, jusqu’aux injures. « Vous m’aviez solennellement promis de ne plus persécuter cette femme, et vous avez l’effronterie de lui envoyer des présents ! Elle les a rejetés avec indignation. — Moi, je lui ai envoyé des présents ? répondit alors le gentilhomme, qui voulait tirer du religieux de plus grands éclaircissements. — Oui, et vous le nieriez inutilement, car elle me les a remis pour vous les rendre, monstre que vous êtes. Tenez, les voilà ; les reconnaissez-vous ? — Je n’ai plus rien à dire, répondit-il en feignant d’être confus et humilié ; je reconnais mes torts ; et puisque cette dame est si sauvage, si inflexible, je vous donne, pour cette fois, ma parole d’honneur de la laisser tranquille. » Alors le moine lui rendit bêtement la bourse et la ceinture, en l’exhortant à tenir sa promesse plus religieusement qu’il n’avait fait. Le jeune homme lui promit de se mieux conduire, et se retira fort content d’avoir reçu des assurances de l’amour de sa maîtresse. Ce présent lui fit d’autant plus plaisir qu’il y avait pour devise sur la ceinture : « Aimez-moi comme je vous aime. » Il alla incontinent se poster dans un lieu d’où il pût faire voir à la dame qu’il avait reçu son beau présent. La belle fut enchantée d’apprendre qu’elle avait affaire à un amoureux intelligent. Elle eut une joie infinie de ce que son intrigue était en bon train, et ne soupirait plus qu’après une absence de son mari pour se trouver au comble de ses désirs.

Elle n’attendit pas longtemps cette absence tant désirée. Peu de jours après, le fabricant de draps fut obligé d’aller à Gênes pour les affaires de son commerce. Il ne fut pas plutôt parti, que sa femme alla trouver son confesseur, et lui dit, après plusieurs doléances : « Je reviens, mon révérend père, pour vous dire que je n’y puis plus tenir. Il faudra que j’éclate, quoi qu’il en arrive, malgré tout ce que je vous ai promis. Sachez que votre ami est un vrai démon incarné. Vous n’imagineriez jamais ce qu’il m’a fait ce matin même, avant que le jour parût. Il a su, je ne sais comment, que mon mari était parti hier pour