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commença la conversation par dire : — « Votre instinct, mesdames, en nous conduisant ici, nous a mieux servis que n’aurait fait toute notre prudence. Je ne sais ce que vous avez résolu de faire de vos soucis : pour moi, j’ai laissé les miens à la porte de la ville. Ainsi préparez-vous à rire, à chanter, à vous divertir avec moi ; sinon permettez que je retourne promptement à Florence, reprendre ma mauvaise humeur. — Tu parles comme un ange, répondit madame Pampinée. Oui, il faut se réjouir et avoir de la gaieté, puisque ce n’est que pour bannir le deuil et la tristesse que nous avons quitté la ville. Mais comme il n’y a point de société qui puisse subsister sans règlements, et que c’est moi qui ai formé le projet de celle-ci, je crois devoir proposer un moyen propre à l’affermir et à prolonger nos plaisirs : c’est de donner à l’un de nous l’intendance de nos amusements, de lui accorder à cet égard une autorité sans bornes, et de le regarder, après l’avoir élu, comme s’il était effectivement notre supérieur et notre maître ; et afin que chacun de nous supporte à son tour le poids de la sollicitude, et goûte pareillement le plaisir de gouverner, je serais d’avis que le règne de cette espèce de souverain ne s’étendît pas au delà d’un jour ; qu’on l’élût à présent, et qu’il eût seul le droit de désigner son successeur, lequel nommerait pareillement celui ou celle qui devrait le remplacer. »

Cet avis fut généralement applaudi, et tous, d’une voix, élurent madame Pampinée pour être Reine, cette première journée. Aussitôt madame Philomène alla couper une branche de laurier dont elle fit une couronne, qu’elle lui plaça sur la tête comme une marque de la dignité royale. Après avoir été proclamée et reconnue souveraine, madame Pampinée ordonna un profond silence, fit appeler les domestiques des trois messieurs, et les servantes qui n’étaient qu’au nombre de quatre ; puis elle parla ainsi :

« Pour commencer à faire régner l’ordre et le plaisir dans notre société, et pour vous engager, Messieurs et Dames, à m’imiter à votre tour, à me surpasser même dans le choix des moyens, je fais Parmeno, domestique de Dionéo, notre maître d’hôtel, et le charge en conséquence de veiller à tout ce qui concernera le service de la table. Sirisco, domestique de Pamphile, sera notre trésorier et exécutera de point en point les ordres de Parmeno. Pour Tindaro, domestique de Philostrate, il servira non-seulement son maître, mais encore les deux autres messieurs, quand leurs propres domestiques n’y pourront pas vaquer. Ma femme de chambre et celle de madame Philomène travailleront à la cuisine et prépareront avec soin les viandes qui leur seront fournies par le maître d’hôtel. La domestique de madame Laurette et celle de madame Flamette feront l’appartement de chaque dame, et auront soin d’entretenir dans la propreté la salle à manger, le salon de compagnie, et généralement tous les lieux fréquentés du château. Faisons savoir en outre, à tous en général, et à chacun en particulier, que quiconque désire de conserver nos bonnes grâces, se garde bien, en quelque