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parlai l’autre jour. Je crois, en vérité, qu’il est né pour mon tourment : il ne cesse de me poursuivre, et voudrait me porter à des choses qui m’ôteraient à jamais la paix du cœur et la confiance de revenir me jeter à vos pieds. — Quoi ! il continue de rôder devant votre maison ? — Plus fort qu’auparavant, reprit la bonne dévote ; on dirait qu’il veut se venger des reproches que je lui ai attirés de votre part, puisqu’il passe jusqu’à sept fois le jour, tandis qu’il ne passait guère plus d’une auparavant. Plût au ciel encore qu’il se fût contenté de passer et de me lorgner ! mais il a eu l’effronterie de m’envoyer, par une femme, une bourse et une ceinture, comme si je manquais de ces choses-là. J’étais si outrée de son impudence, que si la crainte de Dieu et les égards que je vous dois ne m’eussent retenue, je ne sais pas ce que j’aurais fait. Je me suis modérée uniquement par rapport à vous qui êtes son ami, je n’ai pas même voulu en parler à qui que ce soit, avant de vous le faire savoir. J’avais d’abord laissé la bourse et la ceinture à la commissionnaire, avec prière de les lui rendre exactement ; mais, songeant que ces femmes complaisantes prennent de toute main, et que celle-ci aurait fort bien pu retenir le présent en faisant entendre à votre ami que je l’aurais accepté, j’ai cru devoir reprendre ces bijoux pour vous les apporter. Les voilà. Je vous prie de les lui rendre, et de lui dire en même temps que je n’ai que faire de ses présents ni de sa personne ; et que, s’il ne cesse de me persécuter comme il le fait, j’en avertirai mon mari et mes frères, quoi qu’il puisse en arriver ; j’aime mieux qu’il reçoive quelque bonne injure, et peut-être quelque chose de pis, que de m’attirer le moindre blâme à son sujet. Ne ferais-je pas bien, mon révérend père, de prendre ce parti, si cela continue ? N’ai-je pas raison d’être offensée ? — Votre colère ne me surprend point, madame, lui répondit le religieux en prenant la bourse et la ceinture, qui étaient d’une richesse extraordinaire : elle est sans doute juste et bien digne d’une femme honnête et vertueuse. Je lui fis des reproches l’autre jour, et il me promit d’abandonner ses poursuites ; mais puisque, malgré ma réprimande, il ne cesse de rôder continuellement autour de votre maison, et qu’il a l’audace de vous envoyer des cadeaux, je vous promets de le tancer d’une si bonne façon, que vous n’aurez vraisemblablement plus de plaintes à me faire sur son compte. Si vous m’en croyez, vous n’en direz rien à vos parents : ils pourraient se porter à quelque extrémité, et vous auriez cela à vous reprocher. Ne craignez rien pour votre honneur ; de quelque manière que la chose tourne, je rendrai témoignage de votre vertu devant Dieu et devant les hommes. »

La dame parut consolée par ce discours, et elle changea de propos. Comme elle connaissait l’avarice du moine et celle de ses confrères, pour avoir prétexte de lui donner de l’argent : « Ces nuits dernières, lui dit-elle, plusieurs de mes parents m’ont apparu en songe, ma bonne mère entre autres. J’ai jugé, à l’air de tristesse et d’affliction qui régnait sur leur visage, qu’ils souffraient