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aigreur ; on leur répond de même ; on en vient aux injures, et des injures aux voies de fait. J’ai donc mieux aimé, pour éviter le scandale et prévenir tout fâcheux événement, m’adresser à vous, tant parce qu’il paraît être lié avec vous, que parce que vous êtes en droit, par votre caractère, de faire des leçons non-seulement à vos amis, mais à toute sorte de gens. Je vous prie donc de vouloir bien lui faire les reproches qu’il mérite, et de l’engager à me laisser en repos. Qu’il s’adresse à d’autres femmes, s’il est d’humeur galante ; il y en a assez, Dieu merci, et il n’aura pas de peine à en trouver qui seront flattées de recevoir ses soins. Pour moi, j’en serais sincèrement fâchée ; et, grâce à Dieu, je n’ai jamais porté mes vues de ce côté-là. Je sais trop ce que je dois à mon mari et ce que je me dois à moi-même. »

Après ces mots, elle baissa la tête, comme si elle eût eu envie de pleurer.

Le religieux comprit d’abord, par le portrait qu’elle lui fit du personnage, que c’était de son ami qu’il s’agissait. Il loua beaucoup les sentiments vertueux de sa pénitente, qu’il croyait sincère, et il lui promit de faire ce qu’elle souhaitait. Puis, comme il savait qu’elle était riche, il eut soin de la régaler d’un petit sermon sur l’aumône, qu’il termina, selon l’usage, par l’exposition de ses besoins et de ceux du couvent. « Au nom de Dieu, reprit la dame, n’oubliez pas ce que je viens de vous dire ; s’il nie la chose, dites-lui, s’il vous plaît, que c’est de moi que vous la tenez, et que je vous en fais mes plaintes, pour lui faire savoir combien je suis offensée de sa conduite. »

La confession achevée et l’absolution reçue, la pénitente mit à profit l’exhortation du confesseur sur l’aumône. Elle tira de sa bourse une bonne somme d’argent, qu’elle lui remit, le priant, pour donner un motif à sa libéralité, de dire des messes pour le repos de l’âme de ses parents ; après quoi, elle sortit du confessionnal et s’en retourna chez elle.

Quelques jours après, le jeune homme dont la dame était devenue amoureuse alla voir, à son ordinaire, le bon religieux, qui après lui avoir parlé de choses indifférentes, le prit à part pour lui reprocher avec douceur ses poursuites et ses assiduités prétendues auprès de la belle dévote. Le gentilhomme, qui ne la connaissait point, qui ne se rappelait même pas l’avoir jamais vue, et qui passait rarement devant sa maison, répondit tout naturellement au moine qu’il ignorait ce qu’il voulait dire. Mais le crédule confesseur, sans lui donner le temps de s’excuser davantage : « Il ne vous sert de rien, lui dit-il, de faire ici l’homme surpris et l’ignorant ; je sais ce qui en est, et vous auriez beau le nier. Ce n’est point par des inconnus ni par les voisins que j’en ai été instruit ; c’est par la dame elle-même, qui en est désolée. Outre que toutes ces folies ne vous conviennent pas du tout, je vous avertis que vous n’en retirerez aucun fruit ; cette femme est la vertu et la sagesse même ; ainsi, je vous prie de la laisser en paix, pour votre honneur et pour le sien. » Le jeune homme voulut se défendre