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le découvrir sans faire de l’éclat, et voulant d’ailleurs éviter une vengeance qui eût compromis son honneur, il se contenta de le réprimander et de lui faire entendre, sans être entendu des autres, qu’il s’était aperçu de la ruse dont il s’était servi pour coucher avec la reine. « Que celui, dit-il, qui vous a tondus garde le secret et qu’il n’y revienne plus, s’il ne veut perdre la vie dans les supplices. » Après ces mots, il ordonna à tout le monde de se retirer.

Un autre que lui eût peut-être mis tous les palefreniers dans les fers et les tortures pour découvrir le coupable ; mais il n’eût fait par là que découvrir ce que tout homme, et surtout un roi, a intérêt de tenir secret. Il se serait vengé sans doute ; mais il eût à coup sûr humilié sa femme et augmenté son propre déshonneur.

Tout le monde fut surpris des paroles du roi et chercha à en démêler le sens. Il n’y eut que le rusé palefrenier qui comprit l’énigme. Il eut la prudence de ne l’expliquer à personne tant qu’Agiluf vécut, et il profita de l’avis qu’il avait reçu en ne s’exposant plus au danger qu’il avait couru.


NOUVELLE III

LE CONFESSEUR COMPLAISANT SANS LE SAVOIR

Dans notre bonne ville de Florence, où, comme vous savez, la galanterie règne encore plus que l’amour et la fidélité, vivait, il y a quelques années, une dame que la nature avait enrichie de ses dons les plus précieux. Esprit, grâce, beauté, jeunesse, elle avait tout ce qui peut faire adorer une femme. Je ne vous dirai pas son nom ni celui des personnes qui figurent dans cette anecdote. Ses parents, qui vivent encore et qui occupent un haut rang à Florence, le trouveraient sans doute mauvais. Je me contenterai de vous dire que cette dame appartenait à des gens de qualité, mais si peu favorisés de la fortune, qu’ils furent obligés de la marier à un riche fabricant de draps. Elle était si entêtée de sa naissance, qu’elle regarda ce mariage comme humiliant pour elle, aussi ne put-elle jamais se résoudre à aimer son mari. Cet homme d’ailleurs n’avait rien d’aimable ; tout son mérite se réduisait à être fort riche et à bien entendre son commerce. Le mépris ou l’indifférence de sa femme pour lui alla si loin, qu’elle résolut de ne lui accorder ses faveurs que lorsqu’elle ne pourrait s’en dispenser sans en venir à une rupture ouverte, se proposant, pour se dédommager, de chercher quelqu’un qui fût plus digne de son attachement.