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nuit ? — Non, assurément, lui répondit-elle ; mais je m’intéresse trop à votre santé pour ne pas vous prier de la ménager. — Eh bien ! répliqua-t-il, je suivrai votre conseil, et m’en retournerai, pour cette fois, sans rien exiger. » Irrité de l’injure qu’on venait de lui faire, il se lève, reprend son manteau, et sort de la chambre, dans l’intention de chercher le coupable. Ne doutant point que ce ne fût quelqu’un du palais, il crut qu’il n’avait, pour le découvrir, qu’à faire la revue des gens attachés à son service. « Il est impossible, disait-il en lui-même, que celui qui a fait un coup si hardi n’en soit encore tout ému ; le cœur doit lui battre d’une force extraordinaire au seul souvenir du danger qu’il a couru. » Il prend donc sa lanterne, va au grand corps de logis, et visite toutes les chambres, où il trouva tout le monde dormant fort tranquillement. Il était sur le point de s’en retourner, quand il se souvint qu’il n’avait pas été dans la salle des palefreniers : il s’y rend. L’audacieux qui avait eu l’insolence de partager sa couche ne le vit pas plutôt entrer qu’il se crut perdu. La crainte redoubla les mouvements de son cœur déjà agité. Il ne doutait point que, si le roi s’en apercevait, il ne fût immolé sur-le-champ même à sa juste colère. Cependant, voyant que le roi était sans armes, il résolut d’attendre le dénoûment de sa destinée, et fit semblant de dormir. Le roi, ayant commencé par un bout sa visite, trouva les premiers fort tranquilles et sans émotion. Il arrive au lit du coupable, et trouvant son cœur extrêmement agité : « Le voici, ce scélérat ! » dit-il en lui-même. Mais comme il voulait exécuter sans éclat la vengeance qu’il avait méditée, il se contenta de lui couper avec des ciseaux une face de ses cheveux, qu’on portait fort longs en ce temps-là, afin de pouvoir le reconnaître le lendemain matin. Cette opération faite, il se retira dans son appartement.

Le palefrenier, qui ne croyait pas en être quitte à si bon marché, comprit aisément que ce n’était pas sans dessein que le roi l’avait ainsi marqué. Comme il avait l’esprit aussi rusé qu’entreprenant, il se lève un moment après, va prendre dans l’écurie une paire de ciseaux dont on se servait pour faire le crin aux chevaux ; puis, parcourant à son tour les lits de tous ses camarades, il leur coupe tout doucement le même côté de cheveux que le roi lui avait coupé, et s’en retourne dans son lit sans avoir éveillé personne.

Agiluf, s’étant levé de bon matin, ordonna, avant qu’on ouvrît les portes du palais, que tous ses domestiques parussent devant lui. Dieu sait s’il fut surpris quand il vit que tous les palefreniers avaient les cheveux coupés du même côté. « Je ne me serais jamais attendu à une pareille ruse de la part du coupable, se dit-il à lui-même. Le drôle, quoique de basse condition, montre bien qu’il ne manque pas d’esprit ; le fripon est rusé, et je ne me dissimule pas que j’ai été pris pour dupe. » Considérant qu’il ne pourrait