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distinctement cette conversation, et, plein de joie, il disait en lui-même : Si vous me retenez ici, mesdames, je labourerai si bien votre jardin qu’il n’aura jamais été labouré de la sorte.

L’intendant le conduisit dans le jardin. Il fut aussi content de son labourage qu’il l’avait été du reste, et lui demanda s’il voulait demeurer et s’attacher au couvent. Il lui répondit par signes qu’il ferait tout ce qu’on voudrait. Dès ce moment il fut arrêté pour le service des nonnes. L’intendant lui prescrivit ce qu’il avait à faire et le laissa dans le jardin.

La nouvelle du nouveau jardinier fut bientôt sue de toutes les religieuses. Elles allaient souvent le voir travailler, et prenaient plaisir à lui tenir mille propos extravagants, comme il arrive qu’on fait aux muets. Elles se gênaient d’autant moins qu’elles étaient éloignées de soupçonner qu’il pût les entendre. L’abbesse, s’imaginant qu’il n’était pas plus à craindre du nerf viril que de la langue, ne s’en mettait guère en peine : Mazet avait trop bien joué son personnage pour ne pas paraître un sot accompli aux yeux de toutes les religieuses, espérant d’en dissuader quelques-unes lorsqu’il en trouverait l’occasion. Elle se présenta d’elle-même. Un jour qu’il avait beaucoup travaillé et qu’il s’était couché sur un gazon pour se reposer, deux jeunes nonnains, qui se promenaient et passaient devant lui, s’arrêtèrent pour le regarder. Il les aperçut, mais il fit semblant de dormir. Les deux poulettes le couvaient des yeux. « Si je croyais, dit la plus hardie, que tu fusses discrète, je te ferai part d’une idée qui m’est venue plusieurs fois dans l’esprit, et dont assurément tu pourrais, aussi bien que moi, faire ton profit. — Parle en toute sûreté, je te promets un secret inviolable. — Je ne sais, reprit alors la petite effrontée, si tu as jamais réfléchi sur la contrainte où nous vivons dans cette maison : aucun homme ne peut y entrer, à l’exception de notre vieil intendant et de ce muet. J’ai entendu dire à plusieurs femmes du monde qui sont venues nous voir que tous les plaisirs de la terre doivent être comptés pour rien lorsqu’on les compare à celui que la femme goûte avec l’homme. Il m’est plusieurs fois entré dans l’esprit d’en faire l’épreuve avec cet imbécile, au défaut d’un autre. Ce bon muet est précisément l’homme qu’il faut pour cette expérience ; quand même il s’y refuserait et qu’il voudrait nous trahir, il sera secret malgré lui. Il est jeune, bien fait, et paraît assez vigoureux pour être en état de nous satisfaire l’une et l’autre. Vois si tu veux que nous fassions cet essai. — Grand Dieu ! que dites-vous là, ma sœur ? s’écria l’autre nonnain. Oubliez-vous que nous avons fait vœu de chasteté ? — Non ; mais combien d’autres vœux ne fait-on pas tous les jours sans qu’on en exécute un seul ? — Vous avez raison, ma sœur ; mais si nous devenions grosses ! — C’est s’alarmer avant le temps et prévoir les malheurs de trop loin. Si celui-là arrivait, nous prendrions alors des mesures pour nous en tirer, et nous trouverions des moyens pour le tenir