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tout ce temps chez des nonnes. « Et à quoi vous occupaient-elles ? reprit Mazet. — À cultiver un beau et grand jardin qu’elles ont ; à leur porter du bois, que j’étais obligé d’aller couper dans la forêt ; à puiser de l’eau, et à mille autres travaux de cette nature. Mais ces dames me donnaient de si petits gages, que je pouvais à peine payer les souliers que j’usais. Le pis, c’est qu’elles sont toutes jeunes et turbulentes en diable : il n’est pas possible de jamais rien faire à leur gré ; elles ont pensé vingt fois me faire perdre la tête : c’était à qui me commanderait. Mets ceci en cet endroit, me disait l’une lorsque je paraissais au jardin. — Non, mets-le là, me disait l’autre ; une troisième m’ôtait la houe des mains en disant : Ceci ne va pas bien. Bref, elles me faisaient si fort enrager, que d’impatience je quittais quelquefois la besogne et sortais du jardin. Las de toutes ces tracasseries, et d’ailleurs mal payé de mes travaux, je n’ai plus voulu les servir. Leur homme d’affaires m’a fait promettre de leur envoyer quelqu’un pour me remplacer ; mais la place est trop mauvaise pour que je m’avise de la proposer à qui que ce soit. »

Ces dernières paroles du bonhomme Nuto firent naître à Mazet le désir d’aller offrir ses services à ces nonnains. L’argent n’était pas ce qui le touchait ; il avait d’autres vues, et il ne doutait pas qu’il ne vînt à bout de les remplir. Quoiqu’il brûlât d’envie d’y être déjà, il crut devoir cacher son dessein à Nuto ; c’est pourquoi il lui répondit qu’il avait bien fait de quitter ce monastère. « On n’a jamais fini avec des femmes, ajouta-t-il, quel homme pourrait y tenir ? Autant vaudrait demeurer avec des diables qu’avec des nonnes : c’est beaucoup si de sept fois une elles savent ce qu’elles veulent. »

À peine est-il sorti de chez le voisin, qu’il commence à s’occuper des moyens de mettre son projet à exécution. Les travaux n’étaient pas ce qui l’inquiétait, il se sentait très en état de s’en acquitter ; pour les gages, il s’embarrassait peu de leur modicité, son unique crainte était donc de n’être pas accepté à cause de sa grande jeunesse. Cette idée le tourmentait ; mais, à force de réfléchir, il s’avisa d’un expédient qui lui réussit. Le monastère, dit-il en lui-même, est éloigné d’ici, personne ne me connaît ; tâchons de contrefaire le muet ; à coup sûr j’y serai reçu si je sais bien jouer mon rôle. Le voilà qui met aussitôt une pioche et une cognée sur ses épaules, et qui prend le chemin du monastère. Il entre dans la cour, où il rencontre heureusement l’homme d’affaires. Il l’aborde et le prie, par des signes de muet, de lui donner à manger pour l’amour de Dieu, lui faisant entendre que, s’il avait à lui faire fendre du bois ou à l’employer à quelque autre ouvrage, il ne demandait qu’à travailler. L’intendant lui donna volontiers à manger ; puis, pour essayer son savoir-faire, il lui montra de grosses souches que Nuto n’avait pu fendre. Mazet en vint à bout dans un moment. L’intendant, charmé de sa