Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/157

Cette page n’a pas encore été corrigée

présent d’une riche garde-robe, lui donna tout ce qu’il jugea pouvoir lui faire plaisir, et continua de lui prouver qu’il n’y avait dans son calendrier ni saint ni fête portant abstinence. Mais s’il la traitait la nuit comme sa maîtresse, le jour il avait pour elle les mêmes égards qu’il aurait eus pour sa femme.

À force de recherches, Richard de Quinzica, étant parvenu à découvrir le lieu qu’habitait sa chère Bartholomée, résolut d’aller la chercher lui-même, ne croyant pas qu’aucun autre fût digne ou capable d’une négociation aussi importante. Quelque forte que fût la rançon qu’on lui demanderait, il était déterminé à la payer généreusement, sans marchander. Il s’embarqua donc, après avoir pris ses sûretés ; et arrivé à Monègue sans avoir couru le moindre danger, il aperçut sa femme qui, l’ayant elle-même aperçu, en avertit le soir Pagamin, en lui disant ce qu’elle se proposait de faire lorsqu’il viendrait la demander. Le lendemain matin, Richard alla voir le corsaire ; il l’aborde civilement, et en est accueilli avec la même civilité. Pagamin feignit d’ignorer qui il était, afin de le faire expliquer sur les motifs de sa visite. Notre juge trouva enfin le moment de lui découvrir ce qui l’amenait, et il le fit dans les termes les plus honnêtes et les plus affectueux, en le suppliant de lui rendre sa femme, pour la rançon de laquelle il lui payerait sur-le-champ tout ce qu’il demanderait. « Soyez le bienvenu, monsieur, lui répondit Pagamin avec un front riant et serein : il est bien vrai que j’ai chez moi une jeune femme ; mais j’ignore si elle est à vous ou à quelque autre ; car je n’ai pas l’honneur de vous connaître, et ne la connais elle-même qu’autant qu’elle a demeuré quelque temps avec moi. Comme vous me paraissez un très-honnête gentilhomme, tout ce que je puis faire pour vous obliger, c’est de vous la faire voir. Si vous êtes son mari ; elle vous reconnaîtra sur-le-champ, et si elle convient qu’elle est votre femme et qu’elle veuille retourner avec vous, je vous permets de grand cœur de l’emmener ; je vous laisserai même le maître du prix de sa rançon ; je dois ce retour à votre honnêteté. Mais si elle ne convient pas que vous soyez son mari, ou qu’elle refuse de vous suivre, vous auriez grand tort de vouloir m’en priver, parce que, jeune et vigoureux tel que je suis, je puis tout aussi bien qu’un autre entretenir une femme, surtout celle dont il s’agit : car je n’en connais ni de plus jolie ni de plus aimable. — Oh ! je vous jure, s’écria Richard, qu’elle est ma femme ; et si vous voulez bien me conduire vers elle, vous en serez aussitôt convaincu ; vous verrez comme elle se jettera à mon cou ; ainsi j’accepte volontiers les conditions que vous me proposez. — Eh bien, suivez-moi, reprit le corsaire, vous allez la voir. » Il le conduit dans un salon, et fait avertir la dame. Celle-ci, s’étant vêtue et ajustée promptement, sortit d’une chambre voisine, et parut dans le salon brillante comme un astre. Elle salue et regarde son mari d’un air aussi indifférent que si c’eût été un étranger qu’elle n’eût jamais vu, et ne daigne seulement pas lui dire un mot. M. le juge,