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la beauté de Bartholomée. Il trouva les autres femmes si désagréables, qu’il ne voulut qu’elle pour tout butin, et il la fit passer sur son vaisseau, à la vue du mari qui avait presque gagné le rivage. Le corsaire dédaigna de le poursuivre, de peur de trop s’approcher des terres, et s’enfuit avec sa capture.

Il ne faut pas demander si M. le juge, qui poussait la jalousie jusqu’à l’excès, fut chagrin de cette aventure. Il était furieux et jetait les hauts cris, ne sachant de qui sa femme était devenue la proie, ni en quel endroit du monde son ravisseur l’avait menée. Il se plaignit amèrement à Pise et ailleurs du brigandage des corsaires, et les aurait volontiers tous exterminés, s’il eût été en son pouvoir.

Cependant Pagamin, charmé de la beauté et de la jeunesse de sa captive, se félicitait de s’en être rendu maître. Comme il n’était pas marié, il résolut, dès le premier moment, de la garder toujours, pour lui tenir lieu de femme. Il employa les soins, les égards, les attentions et tout ce qu’il avait d’éloquence pour la consoler ; car elle se désolait et fondait en larmes. Quand la nuit fut venue, il eut recours à des consolations plus énergiques que les discours les plus flatteurs. Elles furent si efficaces, que la belle oublia bien vite son calendrier. Il n’y eut plus de fête, plus de vigile ; tous les jours étaient bons. Ce changement plut si fort à la dame, qu’avant d’être arrivée à Monègue, le juge, les lois et la légende de ses saints furent entièrement effacés de son souvenir. Elle était au comble de la joie, tant ce nouveau genre de vie lui plaisait. Quand le corsaire l’eut conduite à Monègue, il lui fit