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l’œuvre. Cette triste unité ne laissa pas de le fatiguer beaucoup : aussi le lendemain, pour réparer ses forces épuisées, eut-il recours au vin de Malvoisie, aux consommés et à d’autres semblables restauratifs. Voyant, par cet essai, qu’il avait trop compté sur sa vigueur et voulant se conserver, il commença, dès le premier jour, à soupirer après le repos. Mais pour déguiser sa faiblesse et son impuissance à sa jeune moitié, il s’avisa de lui remontrer qu’il y avait des jours dans l’année où l’on ne pouvait pas légitimement goûter les plaisirs du mariage. Il lui remit, pour cet effet, un de ces calendriers qu’on imprimait autrefois à Ravenne, à l’usage des enfants qui apprennent à lire. Ce petit livre lui fournissait presque chaque jour un nouveau saint, en révérence duquel il s’efforçait de lui prouver que le mari et la femme devaient s’abstenir de coucher ensemble. À ces jours de fête, il ajoutait les solennités, les jours de jeûne, les quatre-temps, les vigiles, le vendredi, le samedi, le dimanche et tout le carême. En un mot, il grossissait le plus qu’il pouvait le catalogue de ces jours où les joies du mariage devaient être interdites aux bons chrétiens. Peut-être imaginait-il que le lit conjugal devait avoir ses vacances ainsi que le palais. Quoi qu’il en soit, toutes ces raisons n’étaient rien moins que du goût de la dame, car à peine ce bonhomme trouvait-il un jour dans le mois où il pût sans scrupule s’acquitter du devoir marital : encore quand cela lui arrivait, n’en pouvait-il plus de fatigue et d’épuisement. Ce qu’il y avait de plus fâcheux pour la belle, c’est qu’elle était tenue de court, de peur que quelque dégourdi ne lui fît connaître les jours ouvrables, comme son vieux mari lui avait appris les jours de fête.

Cependant Quinzica, pour la dédommager des abstinences qu’il lui faisait faire, lui procurait de temps en temps quelques divertissements. Il la menait souvent à une belle maison de campagne, qu’il avait près de la montagne Noire, à peu de distance de la mer. Un jour qu’il y était allé pour changer d’air et dans l’intention d’y passer plus de temps qu’à l’ordinaire, il voulut, pour varier ses plaisirs, lui donner le divertissement de la pêche. Il invite à cette partie plusieurs personnes de connaissance. Il se mit dans la barque des pêcheurs, et pour que sa femme pût jouir à son aise de ce spectacle, il l’engagea à se mettre sur une autre barque, avec plusieurs dames de ses amies. Le plaisir de la conversation, joint à celui de la pêche, fut si grand, qu’ils avaient insensiblement fait plusieurs lieues en mer avant de s’en être aperçus. Mais un fameux corsaire de ce temps-là, nommé Pagamin de Monègue, vint interrompre leur divertissement, dans le temps qu’ils en étaient le plus occupés. Il n’eut pas plutôt aperçu les barques qu’il tourna de leur côté pour s’en emparer. On se mit promptement à la rame pour l’éviter ; mais il n’était plus temps. Le corsaire eut bientôt atteint la barque des dames, qui était la plus avancée. À peine eut-il jeté les yeux sur ce groupe de femmes, qu’il fut frappé de