d’avoir fait ce que font toutes les autres, la fit assassiner, m’a-t-on dit, dès qu’il fut à portée de se venger de son infidélité. »
Sicuran n’eut point de peine à comprendre quel avait été le sujet de la colère de son mari, et connut clairement qu’Ambroise était la seule cause de son malheur. Résolu de ne pas laisser ce crime impuni, il feignit de s’amuser beaucoup de cette aventure, se lia dès ce moment avec le marchand, et sut si bien l’amadouer, qu’il lui persuada, quand la foire fut finie, de faire transporter tout ce qui lui restait de marchandises à Alexandrie, lui promettant de lui en faire tirer grand parti. Pour mieux assurer son coup et avoir le temps de bien prendre ses précautions, il l’engagea à se fixer pour quelques années dans cette ville, et lui procura des fonds et d’autres secours pour l’y déterminer. Ambroise y consentit d’autant plus volontiers, qu’il y faisait des profits considérables.
Sicuran, jaloux de se justifier dans l’esprit de son mari, chercha tous les moyens de l’attirer aussi à Alexandrie. Il y réussit par l’entremise de plusieurs négociants génois, nouvellement établis dans cette ville. Bernard, qui ne se doutait pas du sujet pour lequel il était mandé, arriva en mauvais équipage. Il fut reçu secrètement par un ami de Sicuran, qui, sous de vains prétextes, le retint chez lui jusqu’à ce qu’on eut trouvé le moment favorable pour l’exécution du projet.
Afin de disposer les choses, Sicuran avait fait raconter l’aventure d’Ambroise, par Ambroise lui-même, en présence du soudan, qui s’en amusa beaucoup. Quand son mari fut arrivé, il pria le monarque, qui ne lui refusait rien, de se la faire conter une seconde fois en présence de Bernard, qui était en ville, et qu’il avait déterré. « Je crains fort, ajouta-t-il, qu’Ambroise n’ait déguisé la vérité dans son récit, et que le Génois ne se soit trop pressé de condamner sa femme. Mais si Votre Hautesse daigne lui ordonner de dire au vrai comment la chose s’est passée, je ne doute pas qu’il n’obéisse ; et, s’il s’y refuse, je sais un moyen sûr pour le contraindre à dire la vérité. »
Ambroise et Bernard ayant paru devant le soudan, ce prince prit un ton sévère, et paraissant instruit de toutes les circonstances de l’aventure, commanda au premier d’en faire le récit, et de dire, sans aucun déguisement, de quelle manière il avait gagné les cinq mille ducats, le menaçant des plus cruels supplices s’il déguisait en rien la vérité. Ambroise, effrayé de cette menace, et croyant le monarque plus instruit qu’il ne l’était, se détermina, malgré la présence de Bernard et de toute la cour, à raconter au vrai comment la chose s’était passée, persuadé qu’il en serait quitte pour rendre les cinq mille ducats et les bijoux qu’il avait pris. Après qu’il eut tout dit, Sicuran, en qualité de ministre de Sa Hautesse, prit la parole, et s’adressant à Bernard : « Et toi, dit-il, que fis-tu de ta femme après une telle imposture ? — Emporté par la colère