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qui allait voir souvent la dame, et que celle-ci aimait beaucoup, il résolut de pousser plus loin l’aventure. Cette femme ne fut pas si facile qu’il l’avait imaginé. Il eut recours à l’argent et parvint à la séduire. Tout ce qu’elle put faire pour le service du galant fut de l’introduire par un stratagème dans la chambre de la vierge. Il fut conclu qu’Ambroise ferait faire un coffre à sa fantaisie, qu’il s’enfermerait dedans, et que la bonne femme, sous prétexte de voyage, prierait la femme de Bernard de le lui garder pour quelques jours, et de le placer, pour plus grande sûreté, dans un coin de la chambre où elle couchait. Ce qui fut dit fut fait. Vers le milieu de la nuit, lorsque Ambroise crut que la dame dormait d’un profond sommeil, il sortit du coffre, dont la serrure était de celles qui s’ouvrent par dedans et par dehors. Il trouve la chandelle allumée, car on n’était pas dans l’usage de l’éteindre ; elle lui sert à examiner la forme de l’appartement, les tapisseries, les tableaux, les autres ornements, et il grave l’idée de tous ces objets dans sa mémoire. Il s’approche ensuite du lit : la dame était couchée avec une petite fille. Les voyant toutes deux dormir profondément, il découvre la mère avec une grande précaution, et trouve que ses charmes les plus cachés répondaient parfaitement à ceux de son visage. Comme elle était nue ainsi qu’un ver, rien ne l’empêcha de la considérer à son aise, pour voir si elle n’avait rien de particulier sur son corps. À force d’en parcourir des yeux les diverses parties, il remarqua sous sa mamelle gauche une petite excroissance ou poireau, entouré de quelques poils blonds comme de l’or. Après l’avoir bien examinée, il la recouvrit tout doucement, non sans éprouver de vives émotions. Il fut même tenté, au péril de sa vie, de se coucher auprès d’elle ; mais comme il savait qu’elle n’était pas de facile composition, il n’osa rien risquer. Il visite de nouveau tous les coins de la chambre ; et voyant une armoire ouverte, il en tire une bourse, une ceinture, un anneau et une méchante robe, qu’il met dans son coffre, où il se renferme sans faire le moindre bruit. Il y passa encore deux nuits, comme il s’y était attendu. Le troisième jour étant venu, la bonne vieille se représenta pour demander son coffre, ainsi qu’on en était convenu, et le fit porter au lieu où elle l’avait pris. Ambroise, sorti de cette étroite prison, récompensa la vieille et reprit le chemin de Paris, avec les nippes qu’il avait dérobées à la femme de Bernard, connue sous le nom de madame Genèvre. Il fut de retour bien avant l’expiration des trois mois, et trouva à l’auberge les mêmes négociants qui avaient été témoins de sa gageure. Il les assembla, et leur dit en présence de Bernard qu’il avait gagné le pari, puisqu’il avait accompli ce à quoi il s’était engagé. Pour prouver qu’il n’en imposait point, il se mit à faire la description de la chambre à coucher de la dame, fit le détail des peintures dont elle était ornée, et montra les nippes et les bijoux qu’il avait enlevés, disant que la dame lui en avait fait présent.

Bernard, un peu décontenancé, avoua que la chambre était faite comme il le