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Après que Jacquet eut satisfait la curiosité du monarque, on lui remit la récompense promise. « Prenez ces beaux et riches présents de mon souverain, dit alors le comte à son gendre, et ne manquez pas, je vous prie, d’apprendre à votre père que vos enfants, mes neveux, ne sont pas nés dans la bassesse, du côté de leur mère. »

Jacquet se hâta d’écrire en Angleterre. Il attira sa femme à Paris. Perrot y appela la sienne. Après un long séjour dans cette ville, ils s’en retournèrent avec l’agrément du roi. Ce ne fut pas sans regret et sans répandre des pleurs qu’ils se séparèrent du comte d’Angers, qui demeura en France, où, après être rentré dans tous ses biens et avoir été élevé aux plus hautes dignités, il vécut encore plusieurs années, estimé, chéri et honoré plus que jamais de tout le monde.


NOUVELLE IX

L’IMPOSTEUR CONFONDU OU LA FEMME JUSTIFIÉE

Des affaires de commerce avaient appelé à Paris des négociants d’Italie. Ils étaient logés dans la même auberge, et se faisaient un plaisir de manger ensemble. Un soir, sur la fin du souper, étant plus gais qu’à l’ordinaire, ils se mirent à raconter des histoires de galanterie. La conversation tomba insensiblement sur leurs propres femmes, car ils étaient tous mariés. « Je ne sais ce que fait la mienne, dit l’un ; mais je sais bien que, lorsque je trouve l’occasion de goûter d’un mets étranger, j’en profite avec plaisir. — J’en fais tout autant, répondit un autre ; et il y a grande apparence que ma femme suit le même système : en tout cas, que je le croie ou non, il n’en sera ni plus ni moins. » Un troisième tint à peu près le même langage, et chacun parut persuadé que sa femme mettait le temps et l’absence du mari à profit. Un seul, nommé Bernard Lomelin, de Gênes, fut d’un sentiment contraire, du moins pour ce qui le regardait ; assurant que, par la grâce de Dieu, il avait la femme la plus honnête et la plus accomplie de toute l’Italie. Il fait ensuite l’énumération de ses belles qualités, l’éloge de sa beauté, de sa jeunesse, de sa vivacité, de la finesse de sa taille, de son amour pour le travail et de son adresse pour tout ouvrage de femme, ajoutant que le plus habile écuyer tranchant ne pouvait se flatter de servir à table avec plus d’aisance, de grâce et d’honnêteté. Il loua encore son habileté à manier un cheval, à élever un oiseau ; son talent pour la lecture, l’écriture, la tenue des livres de compte, et pour toutes les affaires de commerce. Après avoir ainsi loué ses différentes qualités, il en vint à l’objet en question, et soutint qu’il n’existait pas de femme plus chaste et plus vertueuse.