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publique de la reine, que ce seigneur était parfaitement innocent du crime pour lequel il avait été proscrit, et qu’il entendait le remettre dans son premier état, et même l’élever plus haut, pour le dédommager, lui et les siens, de leur injuste flétrissure.

À cette nouvelle, qui fit le plus grand bruit, le comte d’Angers alla trouver Jacquet, son maître, et le pria de se réunir avec Perrot, en leur disant qu’il voulait leur montrer celui que le roi de France cherchait. À peine furent-ils tous trois réunis dans le même lieu, que le comte d’Angers, dans son accoutrement de palefrenier, dit à Perrot, qui pensait déjà lui-même à se faire connaître et à se présenter au roi : « Perrot, sais-tu bien que Jacquet que voilà est le mari de ta sœur, et qu’il l’a épousée sans aucune dot ? Or, comme il convient qu’il en reçoive une, j’entends et prétends que lui seul ait la récompense promise à la personne qui te fera connaître ; je veux aussi qu’il obtienne celle qu’on destine à celui qui donnera des nouvelles de Violente, ta sœur et femme ; de même que celle qu’on se propose de donner à celui qui me présentera, moi, qui suis le comte d’Angers, ton père. » Perrot, hors de lui-même, en écoutant ces paroles, regarde fixement celui qui les profère, et le reconnaissant à travers le changement que ses traits avaient éprouvé, il se jette à ses genoux, les embrasse et s’écrie avec des larmes d’attendrissement : « Ah ! mon père ! mon cher père ! que j’ai de joie de vous revoir ! » Jacquet fut si surpris d’un tel événement, qu’il ne savait que penser ni que dire. Le tableau des mauvais traitements qu’il avait fait éprouver au vieillard pendant le temps qu’il avait été à son service, s’offrant aussitôt à sa mémoire, l’engage à se jeter à ses pieds et à lui demander mille pardons. Le comte le relève avec douceur et l’embrasse cordialement. Après s’être mutuellement conté leurs aventures, le fils et le gendre voulurent faire habiller le comte ; mais il s’y refusa constamment, désirant d’être présenté au monarque sous l’habit qu’il portait. Jacquet alla trouver le roi, et lui dit qu’il était en état de lui présenter le comte d’Angers, son fils et sa fille, dans le cas qu’il voulût lui accorder les récompenses promises. Le roi fit sur-le-champ apporter trois présents magnifiques, et lui dit qu’ils seraient à lui aussitôt qu’il aurait tenu sa promesse. Jacquet fait avancer son beau-père, avec son habit de palefrenier : « Sire, voilà le comte, lui dit-il, et voilà son fils, en montrant Perrot ; sa fille, qui est ma femme, n’est point ici, mais vous la verrez dans peu de jours. »

À force de regarder le comte d’Angers, le roi le reconnut, malgré le changement que l’âge, les fatigues et les chagrins avaient opéré dans toute sa personne. Il l’accueillit avec mille démonstrations de joie et d’amitié, et commanda qu’on lui donnât promptement des habits et un équipage dignes de sa naissance et de son rang. Il fit mille caresses à Perrot, et témoigna à Jacquet toute sa sensibilité pour le plaisir qu’il venait de lui faire. Il lui demanda par quel hasard son beau-père était son palefrenier et par quelle aventure il se trouvait le mari de sa fille.