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Laissez-les, lui dit-il d’un ton plein d’orgueil et de dépit, laissez-les dans les sentiments que Dieu leur a donnés ; ils tiennent du lieu d’où ils sortent : ils sont nés d’une mère de basse extraction, et ils aiment la bassesse. » Le comte entendit ces paroles et en fut outré ; mais comme il s’était accoutumé aux humiliations, il ne répondit rien, et se contenta de hausser les épaules. Jacquet n’était rien moins que charmé des caresses que ses enfants faisaient à ce pauvre étranger ; néanmoins, il les aimait tant, qu’il poussa la complaisance jusqu’à offrir à son beau-père de lui donner quelque emploi dans sa maison, s’il voulait y rester. Le beau-père répondit qu’il en serait très-aise, ajoutant qu’il ne savait que panser les chevaux, n’ayant jamais fait autre chose depuis une longue suite d’années. Il fut retenu à cette condition, qu’il remplit au mieux. Son grand plaisir, quand il avait fini sa besogne, était d’amuser et de divertir ses petits-fils, qui se faisaient une fête de rire et de jouer avec lui.

Pendant que la fortune traitait ainsi le comte d’Angers, le roi de France, après plusieurs trêves faites avec les Allemands, termina sa carrière. Son fils, le même dont la femme avait causé l’exil du comte, succéda à sa couronne. La dernière trêve expirée, la guerre recommença avec plus de fureur que jamais. Le nouveau roi demanda du secours au roi d’Angleterre, son parent, qui lui envoya un corps considérable de troupes, sous le commandement de Perrot et de Jacquet Lamyens. Le comte d’Angers, qui n’avait jamais osé se faire connaître depuis sa proscription, ne craignit pas de suivre son gendre en qualité de palefrenier. Il demeura quelque temps au camp, sans être reconnu de personne. Malgré la bassesse de son emploi, comme il était fort expérimenté dans l’art de la guerre, il trouva moyen de se rendre utile, par les vues qu’il fit parvenir ou qu’il donna lui-même à ceux qui avaient le commandement de l’armée.

La nouvelle reine ne jouit pas longtemps des honneurs du diadème. Elle tomba dangereusement malade durant cette guerre, et mourut peu de jours après. Lorsqu’elle se sentit près de sa fin, touchée de repentir, elle fit appeler l’archevêque de Rouen, qui passait pour un saint homme, et se confessa à lui dévotement. Elle lui déclara que le comte d’Angers était innocent du crime dont elle l’avait accusé et le pria de la faire savoir au roi. Elle n’omit aucune circonstance ; et pour rendre l’aveu de son péché plus authentique, elle le fit en présence de plusieurs personnes de la première qualité, et finit par les solliciter de se réunir au prélat, pour prier le roi de rappeler le comte et ses enfants, s’ils vivaient encore, et de les faire rentrer dans tous leurs biens.

Le roi ne fut pas plutôt informé de la mort de la reine et du détail de sa confession, que, vivement touché de l’injuste disgrâce du comte d’Angers, il se hâta de faire publier à son de trompe, dans le camp et dans tout son royaume, qu’il récompenserait richement quiconque pourrait lui donner des nouvelles de cet infortuné ou de quelqu’un de ses enfants ; qu’il reconnaissait, par la confession