peut-être encore réduit, et avoir été élevée chez vous comme votre propre fille, je sens, dis-je, que je devrais me soumettre aveuglément à tout ce qui peut vous être agréable ; mais vous me dispenserez de vous obéir en ceci, à moins que vous n’entendiez me faire épouser celui que vous me destinez pour amoureux ; dans ce cas, il pourra compter sur toute ma tendresse. L’honneur, vous le savez, est le seul bien que j’aie reçu en héritage de mes parents ; je dois et je veux le conserver précieusement et sans tache jusqu’à mon dernier soupir. »
Cette réponse n’était point conforme aux désirs de la dame, qui ne se proposait rien moins que de faire de cette fille la conquête de son fils. Elle ne laissa pas de l’approuver dans le fond de son âme. L’intérêt qui l’animait était pourtant trop fort pour qu’elle lâchât prise. Elle insista donc, en lui disant, d’un ton de surprise : « Comment, Jeannette ! si le roi, qui est jeune et bien fait, était épris de votre beauté, et qu’il vous demandât quelque faveur, vous auriez le courage de la lui refuser ? — Le roi, répliqua Jeannette sans hésiter, pourrait user de violence ; mais j’ose vous assurer que je ne consentirais jamais à rien qui ne fût d’accord avec l’honnêteté. »
La dame, admirant la vertu et la fermeté de cette aimable enfant, ne poussa pas plus loin ses tentatives ; mais, voulant la mettre à l’épreuve, elle dit à son fils que, lorsqu’il serait guéri, elle lui donnerait des facilités pour l’entretenir seule dans une chambre, et que, dans ce tête-à-tête, il essayerait de la rendre sensible, lui faisant sentir qu’il ne lui convenait pas de l’en prier elle-même, puisque ce serait jouer évidemment le rôle d’entremetteuse.
Le jeune homme, peu satisfait de cette proposition, et voyant qu’on ne lui tenait point parole, retomba dans son premier état. Sa mère, le voyant empirer tous les jours, et craignant plus que jamais pour sa vie, passa enfin sur toutes les bienséances, et s’ouvrit nettement à Jeannette ; mais l’ayant trouvée inébranlable, et ayant fait part à son mari de l’inutilité de toutes ses tentatives, ils se déterminèrent à la fin, l’un et l’autre, à la donner pour femme à leur fils. Ce ne fut pas sans regret qu’ils prirent ce parti ; mais ils aimèrent mieux voir leur enfant marié à une personne qui ne leur paraissait pas faite pour lui, que de le voir mourir de douleur. Jeannette bénit Dieu de ne l’avoir point oubliée. Quelque brillant que fût pour elle un tel mariage, elle ne voulut cependant pas dévoiler sa véritable origine, et se contenta toujours de prendre le nom de fille d’un Picard. Le malade recouvra dans peu de temps toutes ses forces, ainsi que sa gaieté ; et quand le mariage fut fait, il s’estima l’homme du monde le plus heureux, et se donna du plaisir en toute liberté.
Perrot, domestique dans la maison du gouverneur de la principauté de Galles, était devenu grand, et avait su, comme sa sœur, gagner les bonnes grâces de son maître ; son esprit, sa sagesse et sa bonne mine le faisaient rechercher. Personne ne maniait mieux que lui une lance, et n’était plus habile dans tous