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Le soudan entendit tout ce récit avec la plus grande satisfaction, et demanda plusieurs fois à Dieu la grâce de pouvoir un jour reconnaître les divers services qu’on avait rendus à sa fille.

Quelques jours après, il combla Antigone de présents, et lui permit de retourner en Chypre. Il le chargea de témoigner sa reconnaissance au roi, et lui remit plusieurs lettres, où il le remerciait lui-même, en attendant de pouvoir lui envoyer des ambassadeurs, et des présents dignes de la marque d’amitié qu’il en avait reçue.

Désirant ensuite d’achever ce qui était commencé, c’est-à-dire le mariage de sa fille avec le roi de Garbe, il fit savoir à ce prince tout ce qui s’était passé, lui marquant que, s’il persistait dans ses sentiments, il envoyât prendre sa fiancée. Ce monarque fut enchanté d’apprendre qu’Alaciel vivait encore. Il l’envoya quérir, et la reçut avec une joie inexprimable. Cette princesse, qui avait eu successivement huit amants, et qui avait couché plus de mille fois avec eux, entra dans le lit du monarque comme pucelle, fit accroire à son époux qu’elle l’était véritablement et vécut avec lui dans une longue et parfaite union. Aussi dit-on communément que bouche baisée ne perd ni son coloris ni sa fraîcheur, et qu’elle se renouvelle comme la lune.


NOUVELLE VIII

L’INNOCENCE RECONNUE

L’empire romain étant passé des Français aux Allemands, ces deux nations se déclarèrent une haine implacable, et par conséquent une guerre continuelle. Le roi de France ne se borna point à défendre ses États, il voulut encore tenter d’en reculer les bornes. Il rassembla pour cet effet toutes les forces de son royaume, et, suivi de son fils, il marcha à la tête d’une armée formidable contre l’ennemi. Avant d’aller à cette expédition, il crut qu’il convenait de pourvoir au gouvernement de son royaume pendant son absence, afin d’éviter le trouble et les séditions. Il jeta les yeux sur Gautier, comte d’Angers, son vassal, homme d’un jugement profond et d’une sagesse consommée. Ce seigneur avait de plus grands talents pour la guerre ; mais soit que le roi comptât plus sur sa fidélité que sur celle d’un autre, soit qu’il le crût plus disposé à goûter les douceurs de la paix qu’à supporter les fatigues de la guerre, il lui confia l’administration des affaires, et le laissa à Paris avec le titre de lieutenant général du royaume.