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d’amour, de confiance et de respect que j’aurais pour lui s’il était ici, et je ne vous cacherai rien. J’ai toujours eu pour vous beaucoup d’estime, et je vous avoue que je ne saurais vous exprimer la joie de vous avoir reconnu la première. Vous allez lire dans mon cœur, et connaître ce que, dans mes plus grands malheurs, j’ai pris soin de cacher à tout le monde. Si, après avoir entendu le récit fidèle de tout ce qui m’est arrivé, vous jugez à propos de me rendre à mon premier état, je vous prie de le faire ; mais si vous jugez que la chose ne soit pas faisable, je vous conjure de ne dire à qui que ce soit au monde que vous m’ayez vue, ou que vous ayez entendu parler de moi. »

Après ce préambule, elle lui fit le détail de toutes ses aventures, depuis son naufrage sur les côtes de Majorque jusqu’au moment où elle lui parlait, et son récit fut plusieurs fois interrompu par ses soupirs et par ses larmes. Antigone, touché de pitié, mêla ses pleurs aux siens ; et après quelques moments de réflexion, il lui dit : « Puisqu’on n’a jamais su, dans vos malheurs, qui vous étiez, et qu’on ignore encore si vous vivez, je vous promets, madame, de vous rendre au roi votre père, plus aimée que jamais : je ne doute nullement qu’il n’ait beaucoup de plaisir de vous revoir, et qu’il ne vous envoie ensuite au roi de Garbe, votre fiancé, à qui vous n’en serez que plus chère. » Alaciel demanda comment cela se pourrait. Antigone lui expliqua, par ordre, ce qu’ils avaient à faire. Aussitôt, sans perdre un seul moment, il retourne à Famagoste, et va trouver le roi. « Sire, lui dit-il, vous pouvez, si tel est votre plaisir, faire, sans qu’il vous en coûte presque rien, une chose glorieuse pour vous, et qui deviendra très-avantageuse pour moi qui ai perdu ma fortune à votre service. — Par quel moyen ? dit le roi. — La fille du soudan d’Alexandrie, répondit Antigone, cette fille si célèbre par sa beauté, et qui passait pour avoir péri dans un naufrage, est arrivée au port de Baffa. Pour conserver sa vertu, elle a longtemps souffert la misère, et se trouve encore aujourd’hui dans la plus grande indigence : elle désire de retourner chez son père ; et s’il vous plaisait de la lui envoyer, je suis persuadé que le soudan n’oublierait jamais un tel service. »

Le roi de Chypre, naturellement bon et généreux, lui répondit favorablement. Il donna des ordres pour qu’on la fît venir à la cour, où elle reçut du roi et de la reine tous les honneurs qu’elle pouvait désirer. Elle satisfit à toutes les questions qui lui furent faites sur ses aventures, selon les instructions qu’Antigone lui avait données. Quelques jours après elle fut envoyée au soudan, avec une suite nombreuse d’hommes et de femmes, sous le commandement d’Antigone. Il serait difficile de peindre le plaisir et la joie que le soudan éprouva à la vue d’une fille qu’il croyait pour jamais perdue. Il fit l’accueil le plus gracieux à Antigone et aux gens de sa suite.

Après que la princesse eut pris quelques jours de repos, le soudan voulut