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Arrivés à Baffa, qui était la patrie du marchand, ils se démarièrent, pour la forme seulement ; car ils ne passaient pas de jour sans user des privilèges attachés au mariage.

Nouvelle aventure. Pendant l’absence du marchand, qui était allé, pour des affaires, en Arménie, arrive à Baffa un vieux gentilhomme, peu favorisé de la fortune, ayant dépensé presque tout son bien au service du roi de Chypre ; mais homme plein de sagesse et de jugement. Un jour, passant devant la maison où logeait Alaciel, il l’aperçut à la fenêtre. Frappé de l’éclat de sa beauté, il s’arrêta un moment pour la considérer. Il se ressouvint de l’avoir vue quelque part, sans savoir précisément l’endroit. Alaciel, qui, dans ce moment même, faisait des réflexions sur les bizarreries de sa destinée, ignorant qu’elle touchait au terme de ses malheurs, revint de sa rêverie en voyant cet homme s’arrêter ; et fixant à son tour ses regards sur lui, elle se rappela aussitôt de l’avoir vu autrefois à la cour de son père, dans un état fort brillant. L’espérance de revoir ses parents ou son fiancé se fait aussitôt sentir à son cœur. Elle appelle le gentilhomme avec d’autant plus de liberté que l’hôte était absent. Antigone, c’était le nom de l’étranger, monte au premier signe, et quand il fut entré : « N’êtes-vous pas, lui dit-elle la honte peinte sur son front, n’êtes-vous pas Antigone de Famagoste ? — Oui, madame, c’est lui-même que vous voyez. Il me semble, continua-t-il, que je vous connais aussi ; mais je ne puis me rappeler précisément l’endroit où je vous ai vue. Y aurait-il de l’indiscrétion à moi de vous demander qui vous êtes ? » Se jeter à son cou et verser un torrent de larmes fut la réponse de la dame. Elle demanda ensuite à Antigone, un peu surpris de cette façon d’agir, s’il ne l’avait jamais vue à Alexandrie. Il la regarde attentivement, et la reconnaît alors pour Alaciel, fille du soudan, qu’on croyait ensevelie depuis longtemps au fond de la mer. Il voulut se mettre en devoir de lui rendre les honneurs dus à son rang ; mais la princesse ne le souffrit point, et le fit asseoir auprès d’elle. Antigone lui obéit, et lui demanda respectueusement par quelle aventure elle se trouvait là, puisqu’il passait pour certain, dans toute l’Égypte, qu’elle avait péri depuis plusieurs années dans les flots. « Il serait à souhaiter pour moi, s’écria-t-elle, que cela fût arrivé ! je n’aurais pas été si bizarrement et si constamment ballottée par la fortune. Ah ! si mon père est jamais instruit de la vie que j’ai menée, je suis persuadée qu’il regrettera lui-même, si l’honneur de sa fille lui est cher, que je n’aie point péri dans ce funeste naufrage. » Après ces mots, grands soupirs et larmes de recommencer. « Ne vous affligez point, madame, lui dit Antigone, ne vous affligez point avant le temps. Racontez-moi, s’il vous plaît, les événements qui vous sont arrivés, et peut-être qu’avec l’aide de Dieu nous trouverons un remède à tout. — Je vous regarde comme mon père, mon cher Antigone ; d’après cette idée, j’aurai pour vous les mêmes sentiments