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temps de marcher contre l’ennemi, qui s’approchait à grandes journées de l’Attique. Le duc Constantin et les autres généraux partirent donc, à la tête de leurs troupes, et se rendirent sur les frontières, pour en défendre l’entrée au prince more.

Le jeune Constantin, tout occupé de l’objet de sa passion, s’imagina que pendant que son beau-frère serait éloigné de sa maîtresse il pourrait facilement venir à bout de son dessein. Pour avoir un prétexte de retourner à Athènes, il feignit d’être malade. Il céda sa place à Emmanuel, son cousin ; et après avoir obtenu un congé du duc, il quitta l’armée. De retour auprès de sa sœur, il ne tarda pas de l’entretenir de l’infidélité de son mari, afin de rallumer sa jalousie et son ressentiment. Il s’offrit de la venger de l’affront qu’on lui faisait, en enlevant sa rivale, pour la conduire hors de l’Attique, et l’en délivrer ainsi pour jamais. La duchesse, bien éloignée de soupçonner les vrais motifs d’un zèle dont elle se croyait l’unique objet, dit qu’elle serait très-charmée de cet enlèvement, si elle était assurée que son mari ne saurait jamais qu’elle y eût eu la moindre part. Constantin ne manqua pas de la rassurer ; il lui promit qu’elle ne serait compromise en rien ; et après l’avoir parfaitement tranquillisée, il fit armer secrètement un vaisseau, y mit des gens affidés, et donna des ordres pour qu’on le conduisit vis-à-vis du château qu’habitait Alaciel. Il se rendit dans le même temps au château, avec peu de suite. Il fut très-bien accueilli de la dame et de ceux qui étaient auprès d’elle pour la servir. Il lui proposa, sur le soir, une promenade au jardin. Elle y consentit volontiers, se faisant accompagner de deux domestiques. Constantin, suivi de deux des siens, la prit à l’écart, comme s’il avait eu quelque chose de particulier à lui dire de la part du duc. Ils arrivèrent, tout en causant, à une porte qui donnait du côté de la mer. Un de ses complices l’avait déjà ouverte, et, au signal donné, avait conduit le vaisseau tout auprès. Alors Constantin, saisissant la dame par le bras, la livre à ses domestiques, qui la conduisent dans le vaisseau ; puis, se retournant vers les gens qui l’avaient accompagnée : « Que personne ne bouge et ne fasse le moindre bruit, leur dit-il, s’il ne veut perdre la vie ; mon dessein n’est pas d’enlever au duc sa maîtresse, mais de venger l’outrage fait à ma sœur ; » à quoi ils n’osèrent rien répliquer.

Il n’eut pas plus tôt regagné le vaisseau et rejoint Alaciel, qui se lamentait et fondait en larmes, qu’il commanda de se mettre à la rame. On obéit, et, à la pointe du jour, on aborda à Égine. Ils descendirent à terre, où Constantin fit quelque séjour pour tâcher de consoler la dame, qui se plaignait amèrement des disgrâces auxquelles sa beauté l’exposait si souvent. Après l’avoir consolée de la bonne manière, il se rembarqua avec elle, et ils arrivèrent en peu de jours à l’île de Scio. La crainte de perdre sa maîtresse, et de s’exposer au ressentiment de l’empereur son père, lui fit prendre le parti de s’y fixer, regardant