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passait dans cet endroit, à cause des décombres : c’est pourquoi le bruit que le corps du prince fit en tombant sur ces masures ne fut ni ne pouvait être entendu, ainsi que le duc assassin l’avait prévu.

Cette exécution faite, le compagnon du duc sort de sa poche une corde, dont il s’était muni non sans dessein ; et, tout en causant avec le valet de chambre, qu’il cajolait de son mieux, la lui jette si adroitement à son cou, qu’il l’entraîna facilement jusqu’à la fenêtre, sans lui donner le temps de proférer un seul mot. Là, il fut achevé d’étrangler par les deux assassins, qui le jetèrent ensuite en bas.

Le duc ayant consommé ces deux crimes, sans que personne l’eût entendu, prit un flambeau, et s’approcha du lit de la dame, qui dormait d’un profond sommeil. Il la découvre avec beaucoup de précaution, de peur de l’éveiller, et la considère tout à son aise. S’il l’avait trouvée belle étant habillée, elle le lui parut mille fois davantage, à la vue de ses attraits cachés. Embrasé de la plus ardente passion, et nullement effrayé du crime qu’il venait de commettre, il se couche tranquillement auprès d’elle, les mains encore teintes du sang de son rival. Alaciel, éveillée par ses caresses, croyant tenir le prince more entre ses bras, lui prodigua les siennes et l’enivra de plaisir. Après avoir passé près d’une heure avec elle, il se leva, appela quelques-uns de ses gens, que son complice avait déjà introduits dans le palais, et la fit enlever de manière à l’empêcher de crier. Quand il fut sorti par la même porte où il était entré, il monta à cheval, et gagna, avec tous ses gens, le chemin d’Athènes. Il se garda bien de mener Alaciel dans cette ville, parce qu’il était marié : il la conduisit dans une maison de plaisance qu’il avait dans les environs. La malheureuse princesse y fut secrètement enfermée, avec ordre à tout le monde de l’honorer, de lui obéir et de lui donner tout ce qu’elle pourrait désirer.

Le lendemain, les gentilshommes du prince more ayant vainement attendu jusqu’à midi son lever, et ne l’ayant point entendu sonner de toute la matinée, prirent le parti d’entrer dans son appartement. Ne l’y trouvant pas, non plus que sa maîtresse, ils imaginèrent que l’un et l’autre étaient allés incognito passer quelques jours à la campagne, et cette idée les tranquillisa. Le jour suivant, un fou, connu pour tel de toute la ville, rôdant parmi les décombres où étaient le cadavre du prince et celui du traître Churiacy, s’amusa à tirer ce dernier par la corde attachée à son col, et allait le traînant par la ville. Plusieurs personnes ayant reconnu le mort, elles se firent conduire au lieu d’où le fou l’avait tiré, et y trouvèrent le corps du prince, qu’on ensevelit avec les honneurs ordinaires. On chercha les auteurs de ce double assassinat. L’absence et la fuite secrète du duc d’Athènes firent présumer, avec raison, qu’il avait commis le crime et enlevé la dame. Le peuple élut aussitôt pour son souverain le frère du prince more, et lui demanda vengeance d’un tel attentat, lui promettant