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foule ; sa beauté même acquit un nouvel éclat, et, dans toute la Morée, il n’était question que de la belle maîtresse du prince.

Le duc d’Athènes eut envie de la voir, sur le portrait qu’on lui en faisait. Ce duc, encore à la fleur de son âge, bien fait de sa personne, était parent et ami du prince more. Il prit prétexte d’aller lui faire une visite, et se rendit à Clarence, accompagné d’une suite aussi brillante que nombreuse. Il fut reçu avec tous les honneurs dus à son rang. Quelques jours après son arrivée, ayant fait tomber la conversation sur la beauté des femmes, il mit le prince dans le cas de lui parler d’Alaciel. « Est-elle en effet aussi belle qu’on le publie ? lui dit alors le duc. — Beaucoup davantage, répondit le prince, et vous en demeurerez convaincu quand je vous l’aurai fait voir. — Ce sera quand vous voudrez, reprit l’Athénien. — Vous aurez cette satisfaction dans le moment ; » et sur cela il le conduisit à l’appartement de la dame. Alaciel, avertie de l’illustre visite qu’elle allait recevoir, lui fit un noble accueil, et mit tous ses attraits et toute sa gaieté en étalage. Ils la firent placer au milieu d’eux ; mais ils ne purent goûter le plaisir de causer avec elle, parce qu’ils parlaient une langue qu’elle entendait peu ou, pour mieux dire, pas du tout. On se borna à faire l’éloge de ses charmes. Le duc pouvait à peine croire que ce fût une mortelle ; il ne se lassait point de la regarder avec admiration, ne sentant pas le poison qui se glissait dans son âme. Croyant satisfaire pleinement son plaisir par la seule vue de ce bel objet, il ne pensait pas qu’il allait se donner des fers. Son cœur palpitant lui annonça qu’il était blessé, et bientôt il brûla de l’amour le plus violent.

Ils ne l’eurent pas plutôt quittée, que le duc d’Athènes, repassant dans son esprit tous les attraits qui l’avaient charmé, conclut que son parent était l’homme du monde le plus heureux. Plein de cette idée, écoutant plus la voix de cette malheureuse passion que celle du sang, il résolut d’enlever un trésor si précieux, aux risques de tout ce qui pourrait en arriver. Il suit son projet ; et, foulant aux pieds tout sentiment de raison et d’équité, il cherche dans sa tête des moyens pour la réussite. Il ne trouve pas de meilleur expédient que de corrompre le valet de chambre du prince. Après avoir gagné cet homme, qui se nommait Churiacy, il fit secrètement préparer ses équipages, pour partir vers le milieu de la nuit. Ce misérable valet l’introduisit, armé et accompagné d’un homme de sa suite, dans la chambre du prince more, qui, pendant que sa maîtresse dormait, respirait le frais, en chemise, à une fenêtre pratiquée du côté de la mer. Le duc, après avoir fait la leçon à son compagnon, s’avance tout doucement auprès de la croisée, perce le jeune prince de part en part avec son épée, et jette le corps par la fenêtre.

Le palais était fort élevé et situé sur le bord de la mer. L’appartement du prince donnait sur des maisons que les flots avaient renversées. Personne ne