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Alaciel. Ils arrivent au port ; Marate les remercie, monte sur le vaisseau avec sa captive, et, secondé d’un vent favorable, il fit mettre à la voile.

On se figure aisément la triste situation de la Sarrasine. Elle était d’autant plus affligée, que cette cruelle aventure ne fit que lui rendre plus amer le souvenir de son premier malheur ; mais son ravisseur avait de quoi l’humaniser. Il lui fit voir le saint croissant, l’en toucha, et l’en toucha si bien, qu’elle ne tarda pas d’être consolée. En un mot, ce talisman produisit sur elle un tel effet, qu’elle oublia son premier amant.

Elle se croyait parfaitement heureuse, lorsque la Fortune, qui l’avait choisie pour le jouet de ses caprices, lui préparait de nouveaux chagrins.

Alaciel, ainsi que je l’ai déjà dit, était non-seulement d’une beauté éblouissante, mais elle avait dans ses yeux et dans son air je ne sais quoi de doux et de gracieux qui lui soumettait le cœur de quiconque la voyait. Faut-il s’étonner, après cela, si les deux jeunes commerçants qui commandaient l’équipage en devinrent amoureux ? Ils l’étaient si éperdument l’un et l’autre, qu’ils oubliaient tout pour lui faire leur cour, prenant néanmoins toujours garde que Marate ne s’en aperçût. Ils ne tardèrent pas à connaître qu’ils avaient tous deux le même but. Ils s’en entretinrent ensemble et convinrent d’en faire la conquête à frais communs, comme si la société et le partage fussent aussi praticables en amour qu’en fait de commerce et de marchandises. Mais, comme Marate ne désemparait pas d’auprès de la belle, ils résolurent de se défaire du jaloux à