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que les vapeurs du vin lui faisaient oublier toute modestie : elle se déshabilla et se mit au lit en présence de son hôte, tout aussi librement qu’elle eût pu le faire devant une de ses femmes. L’amoureux, déjà triomphant, ne tarde pas à suivre son exemple. À peine est-il déshabillé, qu’il éteint les flambeaux, gagne la ruelle du lit, et se couche auprès de la belle. Il la prend aussitôt dans ses bras, la couvre de baisers ; et, voyant qu’elle n’opposait aucune résistance à ses caresses, il satisfait à l’aise tous ses désirs. Aux premières impressions du plaisir, la jeune Alaciel, qui avait ignoré jusque-là de quel instrument se servaient les hommes pour blesser si agréablement les dames, trouva le jeu si fort de son goût, qu’elle se repentit de n’avoir pas plus tôt cédé aux sollicitations de son généreux bienfaiteur. Aussi, depuis cette heureuse expérience, n’eut-il plus besoin de lui faire des instances pour obtenir ses faveurs. Elle savait même le prévenir et l’y inviter, non par des paroles, puisqu’elle ignorait encore la langue du pays, mais par des signes qui valaient bien des paroles.

Pendant que ces amants jouissaient si agréablement de la vie, la Fortune, jalouse de leurs plaisirs, vint les traverser d’une manière cruelle. Peu satisfaite d’avoir donné à Alaciel un roi pour époux et un châtelain pour amant, elle lui suscita un nouvel amoureux. Péricon avait un frère âgé de vingt-cinq ans, bien fait de sa personne et frais comme une rose : il se nommait Marate, et faisait sa résidence dans un port de mer peu éloigné de la maison de campagne de son frère. Il eut occasion de voir la charmante Alaciel ; il fut si frappé de sa beauté, qu’aussitôt il en devint amoureux fou. Il crut lire aussi dans ses regards qu’il ne lui déplaisait point, et qu’il lui serait facile d’avoir ses bonnes grâces. Il jugea donc que le seul obstacle qui s’opposait à son bonheur était la vigilance de son frère, qui, jaloux de sa conquête, ne la perdait presque point de vue. Pour triompher de cet obstacle, il forme le plus noir dessein et se dispose à le mettre à exécution. Il va d’abord trouver deux jeunes marchands génois, maîtres d’un navire prêt à faire voile au premier bon vent pour Clarence, en Roumanie. Il traite avec eux pour partir la nuit suivante, avec une dame qu’il devait leur amener. Toutes ses mesures prises et la nuit arrivée, il se rend à la maison de son frère, qui ne se méfiait de rien, et poste dans les environs plusieurs de ses amis, qu’il avait choisis pour exécuter son projet. Après s’être introduit furtivement dans le logis, il se cacha dans l’appartement même d’Alaciel, qui ne tarda pas à venir se coucher avec son amant. Quand il les crut plongés l’un et l’autre dans le sommeil, il courut ouvrir à ses compagnons, ainsi qu’il en était convenu avec eux, et les introduisit dans la chambre où étaient couchés les deux amants. Ces scélérats, sans perdre de temps, poignardent Péricon endormi et enlèvent sa maîtresse tout éplorée, menaçant de la tuer si elle fait le moindre bruit ou la moindre résistance. Ils enlèvent ce qu’il y a de plus précieux dans l’appartement, et, sans éveiller personne, emmènent