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Le soleil était déjà sur l’horizon, lorsque la princesse revint de l’évanouissement où l’effroi de sa situation l’avait plongée. Ne sachant où elle est, le corps brisé de douleur, connaissant à peine si elle existe, elle ouvre les yeux, soulève la tête, et, malgré son extrême faiblesse, elle appelle, tantôt l’un de ses gens, tantôt l’autre ; mais c’est en vain ; ceux qu’elle appelait n’étaient déjà plus. Étonnée de n’entendre et de ne voir paraître personne, elle se sentit saisie d’une nouvelle frayeur ; puis, rappelant dans son esprit ce qui était arrivé, et s’apercevant qu’elle était encore dans le vaisseau, elle réunit les forces qui lui restent, et se lève. Quel spectacle ! elle voit ses femmes étendues çà et là sur le plancher. Après les avoir longtemps appelées, et toujours inutilement, elle les secoua l’une après l’autre ; mais elle en trouva peu à qui la frayeur ou le mal de mer n’eût ôté tout sentiment. Il est plus aisé d’imaginer que de dire quelle fut alors sa consternation. Cependant, prenant conseil de la nécessité, elle secoua si fortement celles qui lui paraissaient vivre encore, qu’elle les fit lever. Ces malheureuses, voyant le vaisseau enfoncé dans le sable et plein d’eau, se mirent à pleurer et à gémir avec leur maîtresse, de se trouver seules, sans hommes, et éloignées de tout secours.

Il était déjà midi, qu’elles n’avaient vu paraître personne sur le rivage ni sur la mer. Par bonheur pour elles, il passa vers cette même heure un gentilhomme nommé Péricon de Visalgo, qui revenait d’une de ses maisons de campagne, suivi de plusieurs domestiques à cheval. Il n’eut pas plutôt aperçu le vaisseau fracassé, qu’il comprit que c’était là un effet de l’orage de la nuit précédente. Il commanda à un de ses gens d’y monter, et de venir lui dire ce qui était dedans. Cet homme y parvient avec peine et trouve la jeune et belle dame et ses compagnes couchées sous le bec de la proue. À la vue de l’inconnu, ces infortunées fondirent en larmes ; elles ne cessaient de crier miséricorde ; mais, voyant qu’elles n’étaient point entendues et qu’elles n’entendaient pas non plus ce que cet homme leur disait, elles firent ce qu’elles purent pour expliquer par signes leur triste aventure.

Le domestique, après avoir tout examiné, alla faire son rapport. Péricon fit incontinent débarquer les femmes et tout ce qui leur restait de plus précieux, et les mena à une de ses maisons de campagne. À force de soins et de bons traitements, il tâcha de les consoler de leur mauvaise fortune. Il reconnut bientôt, aux riches habits d’Alaciel et aux égards que les autres femmes avaient pour elle, que c’était une femme de distinction. Quoiqu’elle fût pâle, triste, abattue, que la frayeur et la fatigue eussent altéré sa beauté, Péricon ne laissa pas d’admirer les traits de son visage, qui lui parurent fort beaux et fort réguliers. Il en fut si épris, qu’il résolut de l’épouser, si elle n’était pas mariée, et s’il ne pouvait s’en faire aimer autrement. Ce gentilhomme était lui-même d’une figure agréable ; il avait le regard noble et fier, et le caractère un