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pensait que Henri Capèce pouvait vivre encore, jugeant qu’elle n’avait plus rien à craindre, prit le parti de lui avouer sans détour tout ce qui était arrivé, et lui exposa ingénument les motifs qu’elle avait eus pour se conduire comme elle l’avait fait. Gasparin, voyant que les discours de cette femme s’accordaient parfaitement avec ceux de l’envoyé, commença de croire que ce qu’on lui disait était vrai. Cet homme fin et rusé ne s’en tint pas là : il fit de nouvelles questions à l’envoyé de Conrad et à la nourrice ; et comme il apprenait à tout moment des choses qui confirmaient la vérité de ce qu’on lui avait dit, il se reprocha alors la manière peu généreuse dont il avait agi avec ce petit enfant. Pour l’en dédommager, et convaincu qu’il était réellement de la famille de Capèce, il le maria promptement à une de ses filles, aussi jeune que jolie, à laquelle il constitua une riche dot. Après la fête du mariage, Gasparin s’embarqua avec son gendre, sa fille, l’envoyé et la nourrice. Ils arrivèrent en très-peu de temps à l’Ereci, où ils furent on ne peut pas mieux accueillis du seigneur Conrad et de toute la famille. On imagine aisément le plaisir que dut avoir la mère de revoir ce jeune enfant qu’elle croyait perdu ; la commune satisfaction des deux frères de se trouver réunis après une si longue séparation ; la joie de la nourrice à la vue d’un dénoûment si peu attendu : celle du marquis, de sa femme, de sa fille et de Gasparin n’éclata pas moins dans cette touchante conjoncture.

Celui qui se joue des fortunes et des desseins des hommes, le souverain dispensateur des grâces, inépuisable dans ses bienfaits quand il daigne nous en favoriser, voulut rendre cette joie parfaite, par la nouvelle qu’apporta l’homme qu’on avait envoyé en Sicile. On s’était déjà mis à table, et l’on était au premier service, lorsque ce fidèle commissionnaire vint annoncer que Henri Capèce jouissait d’une bonne santé et d’un aussi grand crédit que jamais. Il raconta, entre autres choses, qu’au commencement de la révolte contre le roi Charles, le peuple furieux était accouru en foule à sa prison, et qu’après avoir tué les gardes, il l’avait mis en liberté, et l’avait fait capitaine général pour chasser les Français ; qu’il était en grande faveur auprès du roi Pierre, et que ce prince l’avait rétabli dans tous ses biens et honneurs. Cet homme ajouta que cet illustre commandant l’avait très-bien accueilli ; qu’il avait témoigné une joie inexprimable d’apprendre des nouvelles de sa femme et de ses enfants, dont il n’avait plus entendu parler depuis le jour de sa disgrâce, et qu’il les enverrait prendre par plusieurs gentilshommes qu’on verrait bientôt paraître, et qui avaient débarqué avec lui.

Dieu sait le plaisir que ces nouvelles firent à toute la compagnie. Le marquis, accompagné de quelques-uns des convives, courut au-devant de ces gentilshommes. Jamais ambassadeurs ne furent reçus avec plus de joie. On les invita à se mettre à table. Avant de s’asseoir, ces dignes députés saluèrent la compagnie,