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la reconnut aussitôt pour sa mère ; et transporté de joie et de tendresse, il répondit à ses caresses par d’autres non moins touchantes. Il ne se lassait point de la couvrir de baisers, et on eut de la peine à l’arracher de ses bras pour la faire revenir de son évanouissement. À peine cette tendre mère eut-elle repris ses sens, par le secours de la marquise et de sa fille, qu’elle se jeta de nouveau au cou de son fils. Elle lui dit les choses du monde les plus affectueuses, et tous ses discours étaient entremêlés de baisers et de larmes. Son fils, au comble de la joie et de l’attendrissement, lui témoignait de son côté le respect le plus tendre et la reconnaissance la plus vive. Enfin, après s’être donné l’un à l’autre mille marques réciproques de leur amour, à la grande satisfaction des spectateurs, chacun conta son aventure ; après quoi, le marquis fit savoir à ses parents et à ses amis le mariage de sa fille. Tout le monde le félicita de la nouvelle alliance qu’il venait de contracter, et il donna, pour la célébrer, une fête des plus brillantes.

Geoffroi choisit ce moment pour prier son beau-père de deux choses : « Vous m’avez comblé de bienfaits, lui dit-il ; ma mère ne vous a pas moins d’obligations, puisque vous l’avez recueillie dans votre maison, où vous n’avez cessé de la traiter avec toute sorte d’égards. Maintenant, pour qu’il ne vous reste rien à faire de ce qui peut mettre le comble à sa satisfaction et à la mienne, je vous prie d’abord de faire venir mon frère, qui, comme je vous l’ai dit, est au service de Gasparin d’Oria ; puis d’envoyer quelqu’un en Sicile pour s’informer de l’état actuel du pays, et savoir ce que mon père est devenu, s’il est mort ou vivant ; et s’il vit, dans quelle situation il se trouve. » Conrad se rendit aux désirs de son gendre. Il fit partir, sans différer, deux hommes sur le zèle et la fidélité desquels il pouvait compter. Celui qui alla à Gênes, ayant trouvé Gasparin, lui conta par ordre tout ce que son maître avait fait pour Geoffroi et pour sa mère ; il finit par le prier, de la part de ce seigneur, de lui envoyer le fugitif et la nourrice. Gasparin, moins étonné de la proposition que de tout ce qu’il venait d’entendre, répondit : « Il n’est rien que je ne fasse, mon ami, pour obliger M. le marquis de Malespini, que je connais de réputation et que je considère beaucoup ; mais ce que vous demandez n’est pas en mon pouvoir. J’ai véritablement chez moi, depuis quatorze ans, un enfant avec une femme ; mais cette femme est sa mère ; et si le marquis s’en contente, je suis prêt à les lui envoyer ; dites-lui de ma part, je vous prie, de ne pas se fier à Jeannot ; c’est sûrement un fourbe et un mauvais sujet, qui ne prend le nom de Geoffroi Capèce que pour mieux le tromper.

Après cette réponse, le Génois crut devoir faire politesse à l’envoyé, et ordonna qu’on lui servît à manger. Pendant qu’on le régalait, Gasparin prit la nourrice en particulier, et la questionna adroitement sur ce qu’on venait de lui conter. Celle-ci, qui avait entendu parler de la révolution arrivée en Sicile, et qui