« Ne t’a-t-il pas envoyé quelque chose à manger par un autre soldat ? par exemple, une pomme ou du massepain ? »
« Non, ma commère, rien ! les soldats ont parlé de lui une fois chez nous ! Ils disaient qu’il ne fréquente pas les camarades, qu’il est très-fier, et qu’il veut toujours être seul. »
« C’est un vrai morose, affirma la vieille ; mais ne crains rien, Victoire, je t’aiderai — car ton cas n’est pas encore si mauvais. Demain je t’apporterai quelque chose que tu devras porter toujours sur toi. Mais en sortant de ta chambre le matin, n’oublie jamais de t’asperger d’eau bénite en disant : « Que Dieu me garde de tout mal ! » Quand tu iras dans les champs, ne te retourne jamais ; et si le soldat venait à te parler, n’y prends pas garde, quand même il parlerait comme un ange. Il pourrait t’ensorceler avec sa voix ; alors vaut mieux te boucher les oreilles que de l’écouter. N’oublie pas mes recommandations. Si ça ne va pas mieux d’ici à quelques jours, il te faudra revenir me trouver, et nous essaierons d’autre chose. »
Victoire partit l’esprit plus tranquille, et avec l’espoir qu’elle redeviendrait comme elle était auparavant. Le lendemain, la vieille arrivait à la ferme avec quelque chose qui était cousu dans un morceau de drap rouge ; elle le mit elle-même au cou de Victoire, avec recommandation encore de ne l’ôter jamais et de ne le montrer à personne. Le soir, quand elle alla couper de l’herbe, elle remarqua bien que quelqu’un se trouvait non loin d’elle, près d’un arbre ; et elle sentit le sang lui monter au visage ;