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des siècles qu’ils appartenaient tous à un chevalier nommé Turynský et qui demeurait dans son manoir de Turyn. Il était marié et avait une fille unique, fort jolie, mais, malheureusement, sourde et muette, ce qui faisait le chagrin de ses parents.

« Un jour que la fillette se promenait par le château, elle résolut d’aller à la ferme de Bouschin, pour savoir si les agneaux étaient devenus bien forts depuis le jour qu’elle les avait vus. Il faut vous dire qu’en ce temps-là, ni la petite église, ni le village n’étaient encore bâtis. Il n’y avait que la ferme, où demeuraient les serviteurs du chevalier de Turyn, qui gardaient ses troupeaux. Tout alentour, ce n’était que forêts, hantées de beaucoup de bêtes féroces.

« La petite demoiselle de Turyn avait été plusieurs fois à la ferme, mais toujours avec son père ; elle se pensa follement qu’à y courir toute seule, elle y serait tout de suite. Elle marchait, marchait toujours, là où les yeux lui disaient d’aller, puis, se pensait : « allons ! chemin pour chemin » ; car elle était encore bien jeune et n’était pas plus sage que vous. Mais comme après avoir cheminé longtemps, elle n’apercevait pas encore les bâtiments blancs de la ferme, elle commença à prendre peur, puis à se demander ce que devaient dire son père et sa mère de ce qu’elle était partie du château. Et saisie d’effroi, elle voulut y retourner. Quand on a peur, on s’égare encore plus facilement. La fillette s’écarta du droit chemin toujours davantage, et n’arrivait ni au château, ni à la ferme. — Finalement, elle s’engagea dans une telle épaisseur de bois qu’on n’y voyait ni traces d’êtres vivants, ni même de clarté.