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point trancher. Quand enfin je fus redevenu maître de mes esprits et que je retournai à la place où le bouleau avait été abattu, je vis que pas une feuille ne s’émut en lui ; c’était bien un corps mort qui était étendu là. J’en ressentis du remords, autant que si j’eusse commis un meurtre. Je fus triste pendant plusieurs jours ; cependant je n’en ai jamais parlé à personne ; et si, par hasard, la conversation ne fut pas tombée sur des choses pareilles, je ne l’eusse jamais raconté.

« Pareille chose m’est aussi arrivée une fois, dit à son tour Beyer de sa voix grave. Je devais faire une livraison de gibier à la direction des revenus. J’allai à la chasse. Une chevrette se présente au bout de mon fusil. C’était un bel animal, avec des membres aussi réguliers que s’ils eussent été faits au tour. Elle regardait joyeusement par le bois. La compassion me gagnait le cœur. Mais je me pensai : que cette sensibilité de ma part n’était que folie, et je tirai. Mais mon bras avait tremblé, le coup n’avait porté que dans les jambes de la chevrette qui tomba, saus pouvoir s’enfuir. Mon chien s’élançait déjà sur elle ; mais je le retins ; il y avait en moi quelque chose qui m’empêchait de lui laisser faire du mal. Je m’avançai auprès d’elle, et je ne peux pas vous dire avec quelle expression de douleur elle fixa sur moi son regard ; regard de supplication et de plainte tout ensemble. Je tirai bien vite mon couteau et le lui plongeai dans le cœur ; ses membres se contractèrent, elle était morte. Je fondis en larmes, et depuis ce temps — Ah bien ! pourquoi aurais-je honte ? »