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Nous l’avons perdu, comme vous, notre Roger, et cependant nous sentons qu’il vous appartenait plus qu’à nous. Militant, député, ministre, mêlé à toutes les grandes affaires de l’action socialiste et de la vie publique, il était resté votre Roger, le Flamand, le Lillois. Il faut être venu ici, l’avoir vu au milieu de vous, pour le connaître et le comprendre tout à fait. Il y avait deux idées qui dominaient en lui, deux pôles autour desquels tout s’ordonnait : son parti et sa ville. Ses qualités maîtresses étaient celles de votre race, le sang-froid, la ténacité, la bravoure, la bonté.

Il était maire de Lille à 35 ans. Mais depuis combien d’années était-il mêlé à vos luttes, toujours au rang le plus exposé, le visage toujours découvert ? Il succédait à un homme dont Lille n’oubliera jamais le nom, à Gustave Delory. Delory, le disciple de Guesde, l’ami et le compagnon de notre cher Bracke, avait remarqué Roger dès son adolescence. Il l’avait adopté d’avance comme son héritier… Hélas ! avec Bracke, avec Paul Faure, avec Lebas, avec bien d’autres amis présents, je suis venu représenter le Parti socialiste aux funérailles de Delory ; je l’ai mené au cimetière où nous mènerons Roger tout à l’heure. Il y a onze ans de cela. Roger marchait avec nous, tout éclatant de jeunesse ; qui eût pensé que les deux maires de Lille se rejoindraient si vite ? Qui nous eût dit que la méchanceté criminelle des hommes forcerait le cours du temps ?

Quand Roger Salengro fut élu à la mairie de Lille, on s’était dit « il est bien jeune ». Mais sa preuve fut bientôt faite. Tout le monde sentit en peu de semaines qu’il s’était en quelque sorte identifié avec sa ville, qu’il incarnait toutes les formes de l’activité communale, qu’il était devenu l’ami, le confident, le conseiller — et surtout le bienfaiteur — de chaque citoyen qui venait à lui.

Quand je l’appelai, il y aura bientôt six mois, au