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considère, en face de l’envahisseur, comme un tenant et un défenseur de l’influence française. En attendant l’heure de la délivrance, il est de ceux qui tiennent garnison, au nom de la France, sur la terre alsacienne, et qui y conservent intact son souvenir et son esprit. La vie d’étudiant, entre des camarades allemands, n'a fait qu’aviver en lui sa conscience de Français, et, dans le régiment d’artillerie où il sert, il n’en veut rien cacher ou rien abdiquer. Son orgueil, sa victoire, ce sera, sans jamais céder sur ces sentiments, d’imposer aux autres soldats, aux officiers, le respect et la considération pour « le Français », de faire sentir qu’il est un autre, de prouver qu’il est le meilleur. Il y réussit, et cela est noble.

Mais ici je veux faire une objection au romancier. Ehrmann, dans son régiment d’artillerie, ce n’est pas un Français entre des Allemands, c’est un jeune homme de culture plus raffinée entre des camarades plus brutaux. Dans sa solitude, dans les froissements de sa sensibilité, dans sa tristesse, je ne vois rien qui soit spécifique et particulier à son cas. je ne vois rien que M. Barres, ou tout autre, n’eût pu souffrir, pendant son année de service, dans un régiment de hussards. Je perçois bien ce qu’il y a de spécialement dramatique dans ses sentiments ; je ne distingue pas ce qu’on lui impose de spécialement pénible dans le détail de sa vie. Et même, son lieutenant montre aux difficultés de sa situation plus de sollicitude qu’il ne serait raisonnable d’en attendre de beaucoup d’officiers français.